Spath Fluor et Blue John

Angleterre, Vase monté , vers 1790, New York, Metropolitan Museum of Arts (inv. 2019.283.47), ancienne collection Wrightsman

Pierre colorée aux reflets cristallins, le spath fluor est utilisé pour la réalisation d’objets d’art particulièrement luxueux dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Enrichi de montures de bronze doré, il est particulièrement apprécié par la haute aristocratie européenne.

Matthew Boulton (attribuée à), Paire de candélabres , seconde moitié du XVIIIe siècle, New York, Metropolitan Museum (inv. 55.148.2a–h)

Le spath fluor est une fluorite à gros cristaux aux couleurs variées, allant du gris au jaune en passant par le violet. Il est connu et apprécié depuis l’Antiquité. Extrêmement rare et luxueuse, cette pierre est alors extraite uniquement en Iran, et des pouvoirs spéciaux lui sont attribués, notamment celui de transformer le goût du vin. Elle est réservée à la noblesse : l’empereur Néron aurait ainsi dépensé plus d’un million de sesterces pour l’achat d’une petite coupe taillée dans cette pierre.

France, Aiguière, formant garniture avec une paire de vases en spath fluor , vers 1775, Londres, Wallace Collection (inv. F 345)
© The Wallace Collection

Au début du XVIIIe siècle, des gisements de spath fluor sont découverts en Angleterre près de Castleton dans le Derbyshire. Il reste relativement ignoré jusqu’à la seconde moitié du siècle, quand la ville de Buxton, située non loin, devient une station thermale très appréciée de l’aristocratie anglaise. Les baigneurs acquièrent alors de petits objets en spath fluor et le mettent à la mode.

Le spath fluor extrait dans cette région est appelé « spath du Derbyshire ». Il est plus connu sous le nom de « Blue John » à partir des années 1760. Cette dénomination pourrait venir du français « bleu jaune », certaines des plus belles pierres étant mélangées de veines jaunes et violettes. Le Blue John entre alors dans les intérieurs les plus riches : l’architecte Robert Adam (1728-1792) l’utilise pour le décor de la cheminée du salon de musique de Kedleston Hall vers 1760-1765.

Matthew Boulton, Candélabre brûle-parfum, réalisé pour George III , 1770-1771, Windsor Castle, Royal Collection Trust (inv. RCIN 21669)
© Royal Collection Enterprises Limited 2024 | Royal Collection Trust

Le Blue John est surtout apprécié pour la réalisation d’objets d’art. Le bronzier Matthew Boulton (1728-1809) en fait sa spécialité et acquiert ainsi une grande renommée. À partir de 1760, il devient le principal client des mines du Derbyshire, et fonde en 1762 avec son associé John Fothergill (1730-1782) une manufacture à Soho près de Birmingham. Ils produisent jusqu’en 1780 une importante quantité d’objets en Blue John, qu’ils ornent de délicates montures de bronze doré réalisées dans un goût néoclassique proche de celui de Robert Adam. Ils développent de nombreux modèles, collectionnés par la haute aristocratie anglaise : le vase « à tête de bélier », le « vase Cléopâtre », des cassolettes ou encore des pendules, consignés dans leur Book of Patterns . Leur succès est tel que Boulton est reçu par le roi George III et la reine Charlotte en février 1770. Les souverains lui passent alors une importante commande d’objets en Blue John : une nouvelle garniture pour la chambre de la reine, mais aussi plusieurs vases et une pendule. Sir William Chambers (1722-1796), principal conseiller artistique du roi, dessine plusieurs modèles à cette fin, qu’il expose à l’Académie Royale en 1770 sous le nom de « Plusieurs vases etc. à réaliser en ormolu, par Mr. Boulton, pour leurs Majestés ».

Vase en spath fluor, d’une paire , fin du XVIIIe, galerie Léage

Les objets en spath fluor sont recherchés par toute l’aristocratie européenne durant la seconde moitié du XVIIIe siècle. Fothergill parcourt le continent pour promouvoir les créations de la manufacture de Soho, et celles-ci sont souvent offertes en cadeaux diplomatiques. Du Blue John est importé à Paris et orné par les marchands merciers de somptueuses montures de bronze doré, comme l’importante garniture conservée à la Wallace Collection. La famille impériale russe, particulièrement sensible aux objets en pierres montées, en possède une collection remarquable. Sur le conseil du baron Grimm, l’impératrice Catherine II  acquiert de superbes pièces en spath fluor, certaines figurant parmi les plus belles réalisations de Boulton. En 1771, elle envoie l’ambassadeur russe Alexey Musin-Pushkin visiter la manufacture afin d’y repérer des pièces à acquérir, et plusieurs commandes suivent durant les années 1770.

Matthew Boulton, Vase brûle parfum , années 1770, Palais de Pavlovsk, Saint-Pétersbourg, Hermitage Collection (inv. ZI 12614)

Pierre particulièrement séduisante pour ses couleurs vives et son aspect cristallin, le spath fluor connaît un grand succès en Europe dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, porté par des artisans talentueux comme Matthew Boulton. Il avait alors sa place dans les plus grandes collections royales et impériales, et suscite toujours aujourd’hui l’admiration des amateurs.

Bibliographie

Wolfram Koeppe, Annamaria Giusti, Art of the Royal Court. Treasures in Petre Dure from the Palaces of Europe , The Metropolitan Museum of Art, 2008

N. Tretyakov, Pavlovsk. Art collections , The State Museum Pavlovsk, 2010

Jane Roberts, George III & Queen Charlotte: Patronage, Collecting and Court Taste , Royal Collection Publications, 2004

State Hermitage Musuem, Treasures of Catherine the Great , Hermitage Rooms at Somerst House, 2001

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