
Dominique Daguerre est souvent considéré comme le plus grand marchand mercier parisien de la fin de l’Ancien Régime. Participant pour beaucoup à l’anglomanie de la fin du siècle, il fournit également à l’aristocratie et à la cour certains des plus beaux objets de la période néoclassique.

© Château de Versailles, Dist. RMN / © Christophe Fouin
Daguerre débute sa carrière auprès du marchand mercier Simon-Philippe Poirier (vers 1720-1785), auquel il s’associe en 1772. En 1777, alors que Poirier se retire des affaires, il prend la direction de La Couronne d’or rue Saint-Honoré, et récupère la clientèle de son ancien associé. Il bénéficie également de ses relations avec les plus grands artisans de l’époque : Adam Weisweiler (1746-1820) pour l’ébénisterie, Georges Jacob (1738-1814) pour la menuiserie, François Rémond (1747-1812) et Pierre Philippe Thomire (1751-1843) pour le travail du bronze. Daguerre met ensuite en place plusieurs partenariats, avec le marchand Francotais de 1779 à 1789, puis avec Martin-Éloy Lignereux (1751-1809) de 1789 à 1793. Il poursuit la production de meubles plaqués de laque, de porcelaine ou de pierres dures que Poirier avait initié et particulièrement favorisé. Il développe également rapidement un goût particulier, décisif dans le changement qui s’opère au sein des arts décoratifs à la fin du siècle.

© Château de Versailles, Dist. RMN / © Christophe Fouin
Daguerre est l’un des premiers promoteurs de l’anglomanie à Paris. Il apprécie particulièrement l’acajou et la porcelaine de Wedgwood, et les introduit largement en France. À partir de 1787, il devient le représentant exclusif de la manufacture britannique à Paris, vendant des pièces de porcelaines seules ou les faisant plaquer sur du mobilier. Daguerre saisit parallèlement l’intérêt de la clientèle anglaise pour sa propre production et son « luxe à la française » inégalé. Il ouvre ainsi en 1789 un magasin à Piccadilly, au cœur de Londres. Le marchand approvisionne depuis déjà deux ans le prince de Galles, futur Georges IV, et son entourage, et fournit la majeure partie du mobilier de Carlton House et du pavillon de Brighton.

Royal Collection Trust / © His Majesty King Charles III 2023
Son affaire est surtout prospère en France. Le tout Paris se presse pour admirer ses dernières nouveautés et la baronne d’Oberkirch dans ses Mémoires dit ainsi qu’on « ne pouvait approcher de son magasin, tant il y avait de monde ». L’Europe entière, de passage à Paris, lui achète du mobilier : le futur Tsar Paul Ier en 1782, le roi et la reine de Naples, ou encore le duc de Saxe-Teschen. À la cour de France, sa principale cliente est la reine Marie-Antoinette. Il réalise pour elle certains des chefs-d’œuvre de son mobilier, comme la table à écrire plaquée de laque du Japon et d’acier poli, livrée en 1784 pour son cabinet intérieur à Versailles. La reine semble avoir été très proche de son marchand : en 1789, lorsque la famille royale doit quitter Versailles, elle lui confie l’inventaire et la préservation de sa collection d’objets d’art.

© The Wallace Collection
La Révolution déstabilise le commerce de Daguerre, une grande partie de sa clientèle étant menacée. Lui-même se réfugie en Angleterre et s’installe dans le quartier de Chelsea à Londres en 1792. Toujours riche d’un important stock de matières précieuses, il est encore à même de coordonner la réalisation de meubles importants dans les années qui suivent la prise de la Bastille. Ce secrétaire en laque du Japon, exécuté par Adam Weisweiler pour l’ébénisterie et probablement François Rémond pour le travail du bronze, est à rapprocher des meubles de grand luxe qu’il livre alors. La délicatesse du travail, la richesse des matériaux employés et le dessin sophistiqué du meuble démontrent tout l’art du marchand mercier. Le médaillon central, particulièrement innovant pour la période, est également caractéristique de son goût.

Visionnaire inspiré ayant accès aux plus beaux matériaux et au savoir-faire des artisans les plus talentueux, Daguerre permet la réalisation de certains chefs-d’œuvre de l’art français, admirés par toute l’Europe.
Bibliographie :
Rose-Marie Herda-Mousseaux (dir.), La Fabrique du luxe : les marchands merciers parisiens au XVIIIe siècle , Musée Cognacq-Jay, 2018