Égyptomanie

L'interlude de la galerie : Égyptomanie

Jean-Baptiste Claude Sené, Bergère du cabinet de toilette de Marie-Antoinette à Saint-Cloud, 1788, New York, Metropolitan museum of Arts (inv. 41.205.2)

Domaine public

L’aristocratie du XVIIIe siècle, en mal de voyages et d’exotisme, cherche à retrouver dans ses intérieurs les contrées lointaines. Parmi elles, l’Égypte des pharaons, à la frontière entre Orient et Antiquité classique, devient à la fin du siècle une importante source d’inspiration. 
 

Giovanni Battista Piranesi, Décor égyptien du café des Anglais, in Diversi maniere di adornare i cammini, 1769, New York, Metropolitan museum of Arts (inv. 41.71.1.20(53))

Domaine public


Le goût pour l’Égypte naît dans les années 1770, alors que les regards se tournent vers l’Antiquité. Les artistes qui voyagent en Italie y découvrent des vestiges de cette civilisation, comme le temple d’Isis à Pompéi. Piranèse, surtout, s’inspire très tôt de l’Égypte antique, et publie dans ses Diversi maniere di adornare i cammini, en 1769, le décor qu’il a réalisé pour le café anglais, place d’Espagne à Rome, associant figurations de dieux égyptiens, hiéroglyphes et pharaons. Un goût égyptien se répand alors, surtout repérable aux sphinx ailés couchés et aux têtes coiffées d’un némès – la coiffe des pharaons –, qui se dissimulent parmi les arabesques néoclassiques. La première commande de meubles relevant de l’égyptomanie peut être attribuée au duc d’Aumont, qui se fait livrer en 1773 deux consoles en porphyre et bronze doré réalisées par Pierre Gouthière (1732−1813), d’après François-Joseph Bélanger (1744−1818) ou Pierre-Adrien Pâris (1745−1819), dotées de figures en gaine à l’égyptienne.
 

Adam Weisweiler, Table à écrire de Marie-Antoinette, 1784, Paris, Musée du Louvre (inv. OA 5509)

© 2012 Musée du Louvre / Thierry Ollivier


Un des plus importants promoteurs de l’égyptomanie est Marie-Antoinette. Dès 1770, elle fait décorer le plafond de sa grande chambre au château de Versailles de sphinges ailées tenant les armes du royaume de France, sculptées par Antoine Rousseau (1710−1782). Elle achète ensuite, en 1782, les consoles du duc d’Aumont, qu’elle fait accompagner de deux tables en bois pétrifié, « les gaines enrichies d’une figure de femme terme drapée dans le style égyptien portant une corbeille surmontée d’un chapiteau », placées dans sa chambre à Saint-Cloud. Sa passion discrète pour l’égyptomanie se retrouve au travers de son mobilier. La précieuse table à écrire réalisée par Adam Weisweiler en 1784 possède ainsi une ceinture ornée de deux sphinges ailées. Progressivement, les détails se font plus archéologiques : la paire de chenets livrée par Pierre Philippe Thomire (1751−1843) pour la chambre à coucher de la reine à Versailles en 1786 représente ainsi deux sphinx, la tête coiffée du némès. On retrouve ce même élément sur le mobilier livré par Jean-Baptiste Claude Sené (1748−1803) deux ans plus tard pour le cabinet de toilette de la reine à Saint-Cloud.
 
Pierre Philippe Thomire, Chenets de la chambre de Marie-Antoinette à Versailles, 1786, Versailles, Châteaux de Versailles et de Trianon (inv. V 4838.1)

© RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Christian Jean

L’égyptomanie se renforce au tournant des années 1780–1790. Le mobilier réalisé par Georges Jacob (1739−1814) vers 1789–1790 pour la marquise de Marbeuf révèle une ambition nouvelle. Les canapés et fauteuils meublants sont dotés d’une ornementation riche et monumentale : de grandes sphinges en ronde-bosse servent de support d’accotoir, leurs ailes s’étendant jusqu’au dossier. C’est probablement Jean-Démosthène Dugourc (1749−1825), dessinateur du roi, qui donne le modèle de ces sièges. Il intègre à ses dessins de nombreux éléments égyptiens, ensuite repris par ses contemporains. 
La campagne d’Égypte menée par le général Bonaparte de 1798 à 1801 stimule encore les créateurs parisiens, qui se rendent eux-mêmes là-bas, comme Vivant Denon, ou qui s’inspirent des œuvres rapportées en France, comme Charles Percier (1764−1838) et Pierre Fontaine (1762−1853). Leurs recueils de gravures trahissent l’égyptomanie ambiante.

 
Jean-Démosthène Dugourc (d’après), Console de la galerie des grands meubles à l’hôtel du Garde-Meuble de la Couronne, 1787, Fontainebleau, Château de Fontainebleau

Celle-ci se répand depuis la France à travers l’Europe. Les pays du Nord, attentifs au goût français, l’adoptent à leur tour. En Suède, le goût Gustavien tardif est un relais important de l’Égyptomanie. Le prince Charles, frère de Gustav III, décore son palais de Rosersberg de sphinges et de termes égyptiens. L’architecte Carl Christoffer Gjörwell (1766−1837), les menuisiers Ephraïm Stahl (1768−1820) et Jonas Frisk (1787−1849), puisent leur inspiration dans le mobilier français, et les gravures de Percier et Fontaine.
 
Jonas Frisk (attribuée à), Console, début du XIXe siècle, ancienne collection galerie Léage

Exotique, antique et dénotant une personnalité affirmée, l’égyptomanie est présente de manière diffuse dans les arts décoratifs dès la naissance du néoclassicisme. Elle prend sa véritable ampleur à la toute fin du XVIIIe siècle, et touche tout le continent européen. 
 
Bibliographie :
Ouvrage collectif, Marie-Antoinette, Éditions de la Réunion des musées nationaux, 2008
Jean-Pierre Samoyault, Mobilier français, Consulat et Empire, Éditions Gourcuff-Gradenigo, 2009

 
EXPOSITION CHICS D’INTÉRIEUR  
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Jusqu’au 31 octobre à la galerie Léage
 
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