Fauteuil en bois mouluré, sculpté et laqué 

France, époque Louis XVI, dernier quart du XVIIIe siècle 
Georges Jacob (1739−1814) 
Bois mouluré, sculpté et laqué 

Provenance

Louis Jean-Marie de Bourbon, Duc de Penthièvre (1725−1793), pour sa résidence à Nogent-sur Seine, puis au château d’Amboise 

  • Une étiquette : « Pour Monseigneur le Duc de Penthièvre à Nogent Chambre à coucher » 
  • Deux marques à l’ancre couronnée encadrée A B pour le château d’Amboise 

Le dossier mouluré de ce fauteuil est de forme carrée. La ceinture simplement moulurée en creux repose sur quatre pieds fuselés à cannelures rudentées ornés d’une bague dans la partie haute. Les dés de raccordement au-dessus des pieds sont sculptés d’une rosace. Les consoles d’accotoirs de forme balustre présentent des cannelures rudentées et supportent les accotoirs terminés par des volutes. 

Louis Jean-Marie de Bourbon, duc de Penthièvre (1725−1793) 

Louis Jean-Marie de Bourbon, duc de Penthièvre (1725−1793), d’Aumale (1775), de Rambouillet (1737), de Gisors, de Châteauvillain, d’Arc-en-Barrois, d’Amboise, comte d’Eu et seigneur du duché de Carignan, est le petit-fils de Louis XIV et de sa maîtresse Madame de Montespan, et le fils unique de Louis-Alexandre de Bourbon (1678−1737), prince du sang légitimé, comte de Toulouse et de la duchesse Marie Victoire de Noailles. 

Le jeu des successions fait de lui l’héritier du comte de Toulouse, mais aussi des deux fils de son oncle, le duc du Maine. Ses revenus annuels sont évalués à six millions de livres, ce qui fait de lui l’un des hommes les plus riches d’Europe. Il hérite également de nombreuses terres et résidences, plusieurs titres ducaux et princiers et des postes de Grand Amiral de France, Grand Veneur de France et Gouverneur de Bretagne. L’ancre formant la marque d’inventaire dérive de son titre de Grand Amiral. Nommé maréchal de camp en 1743, il devient lieutenant général des armées du Roi l’année suivante et combattit à Dettingen (1743), Fontenoy (1745) et Raucoux (1746). 

Calme, tourné vers la vie contemplative, il renonce à sa carrière militaire après la mort prématurée de son épouse en 1754 et de son fils, le prince de Lamballe. Raffiné et protecteur des arts, il protège les artistes comme le poète Florian et se consacre aux voyages et à l’embellissement de ses nombreux biens fonciers parmi lesquels le château et le parc de Sceaux, le château de Rambouillet, qu’il vend au roi Louis XVI en 1783, d’Anet, d’Amboise, d’Aumale, de Bizy, de Chanteloup, de Dreux, de Gisors, etc ou encore le somptueux hôtel de Toulouse, actuel siège de la Banque de France, à Paris. 

Aimé du peuple, il est nommé commandant de la Garde nationale et prête serment de fidélité à la nation et au roi. La mort tragique de la princesse de Lamballe, sa belle-fille, le 3 septembre 1792, assombrit ses derniers jours. D’un caractère doux et bon, sa popularité le protège et lui permet de mourir paisiblement dans son @château de Bizy en 1793, peu avant le décret d’arrestation des Bourbons et la confiscation de leurs biens. 

La résidence de Nogent-sur-Seine 

L’étiquette en papier inscrite à l’encre, vraisemblablement écrite et apposée dans l’atelier de Jacob, révèle que ce fauteuil était destiné à la chambre du duc à Nogent-sur-Seine. Situé au sud- est de Paris, cette résidence était entre le domaine du duc à Châteauvillain et ses propriétés dans et autour de la capitale. Elle consistait en une petite maison, décrite comme « une petite maison de Nogent sur Seine », où il séjournera pour interrompre le trajet entre ces propriétés. La modestie de cette demeure est démontrée par son acquisition pour le prix de 10 000 livres en 1787. À titre de comparaison, le duc avait acquis le château d’Amboise un an plus tôt pour quelque 4 060 000 livres (Jean Duma, Les Bourbon Penthièvre (1678−1793) : Une nébuleuse aristocratique au XVIIIe siècle, Paris 1995, p. 61). 

Le château d’Amboise 

Les initiales « AB » de chaque côté de la marque d’ancre révèlent que ce fauteuil a ensuite été placé et inventorié au château d’Amboise. Son emplacement, perché au-dessus de la Loire, stratégiquement placé pour verrouiller la Loire en amont de la ville de Tours, conduit à la construction d’une forteresse au XIe siècle qui demeure propriété de la famille d’Amboise pendant quatre siècles. Elle est cependant confisquée à Charles d’Amboise par Charles VI (1422−1461) en 1434, celui-ci ayant pris part à un complot, et à cette occasion elle entre dans le domaine royal. Plusieurs princes et princesses y sont alors éduqués dont Charles VIII, qui y est né et y a grandi. Probablement durablement marqué par le lieu de son enfance, c’est à lui que revient la décision de la transformation de l’ancienne forteresse en un véritable palais dans les dernières années du XVe siècle même si les travaux s’étendirent au-delà de sa mort brutale à Ambroise d’un malheureux coup à la tête contre un linteau de porte trop bas. 

Le château, propriété des Valois au XVe et XVIe siècles, accueille régulièrement les séjours royaux et se situe non loin du Clos-Lucé, choisit par François Ier pour y installer Léonard de Vinci (1452−1519) de 1516 à 1519. Dernière demeure du grand peintre, la sépulture de ce dernier repose toujours dans la chapelle Saint-Hubert, attenante au château. 

Au XVIIe siècle, le château est donné par Louis XIII à son frère Gaston d’Orléans, rebelle invétéré mais repris en 1631 par les armées royales et partiellement démantelé. Il fait ensuite fonction de prison d’état, accueillant entre autres Nicolas Fouquet et Antonin Nompar de Caumont, duc de Lauzun. Propriété pendant un bref moment d’Étienne-François, duc de Choiseul (1719−1785), puissant ministre de Louis XVI, qui l’acquit en 1761 en même temps que la propriété de Chanteloup, située juste à côté, avant d’être rachetée par la Couronne, il est cédé en 1786 à Louis-Jean-Marie de Bourbon, duc de Penthièvre qui y aménage des appartements à partir de 1789, où prend place ce fauteuil transféré de la demeure de Nogent- sur-Seine, autre propriété du duc. 

La Révolution change définitivement le destin du château. En 1793, les autorités confisquent le château et son mobilier afin d’en faire un centre de détention ainsi qu’une caserne pour les vétérans des campagnes menées par les armées révolutionnaires.

Après avoir subi de nombreuses mutilations au XIXe siècle, il revient à la famille d’Orléans en 1873. En 1974, le comte de Paris le confie à la fondation Saint Louis dont il est le président- fondateur. 

Georges Jacob (1739−1814) 

Père fondateur d’une importante dynastie de menuisiers-ébénistes, les Jacob, qui dura sur trois générations de 1765 à 1847, George Jacob est né en 1739 à Cheny, un petit village de Bourgogne près de Sens, d’un père laboureur. Il vint à Paris en 1756 et entra en apprentissage chez le menuisier en siège Jean-Baptiste Lerouge en 1756. 

Reçu maître menuisier le 4 septembre 1765, il s’installa rue de Bourbon et produisit alors de nombreux sièges de style Louis XV. En 1767, il épousa Jeanne- Germaine Loyer qui lui donna trois fils (dont deux seront menuisiers) et deux filles. À cette date, il était rue Beauregard, puis déménagea rue de Cléry et définitivement rue Meslée (devenue rue Meslay) en 1775. À partir de 1781, il fut nommé à diverses fonctions dans la corporation des menuisiers-ébénistes, il devint ainsi syndic-adjoint (1788), puis syndic (1789). 

À partir de 1777, George Jacob commença à réellement travailler pour la Couronne, en meublant les appartements du comte d’Artois au palais du Temple et au pavillon de Bagatelle. Avec l’arrivée en 1784 du nouvel intendant général des Meubles de la Couronne, Thierry de Ville d’Avray, et du nouveau ministre des Finances, Calonne, décidant d’une mise à neuf des résidences royales, Georges Jacob devint l’un des menuisiers attitrés de la Couronne, au même titre que Jean-Baptiste Boulard et Jean-Baptiste-Claude Séné, ou parfois en association avec eux. Il fournit au Garde Meuble royal et aux Menus plaisir des sièges pour les résidences de Versailles, du Petit Trianon, de Fontainebleau, de Saint-Cloud et de Rambouillet. 

Il avait aussi une clientèle particulière de choix : les comtes d’Artois et de Provence (auquel il livra quelques deux mille cinq cent cinquante-huit articles entre 1781 et 1786), les ducs de Penthièvre, de Chartres et de Choiseul, les princes de Condé et de Conti…

Sa réputation s’étendit au-delà des frontières ; les Princes allemands, le futur George IV d’Angleterre, Gustave III de Suède, ont eu également recours à lui. 

Nous ne savons quelle était l’importance exacte de son atelier, mais étant donné sa grande production, il devait avoir dix à quinze établis (soit une vingtaine de personnes) et une forte sous-traitance bien organisée. Jusqu’en 1791 cet atelier ne fit que de la menuiserie en siège et un peu de menuiserie en bâtiment. 

Au contact direct des ornemanistes, des peintres, des architectes, des clients fortunés et du Garde-Meuble, il travailla d’après les idées les plus nouvelles appliquées aux sièges.

Il participa activement aux grands courants stylistiques de la période Louis XVI :

  • au « goût turc » avec les sièges qu’il fournit au comte d’Artois en 1777 et 1781 
  • au goût néo-antique » en réalisant en trois dimensions les dessins novateurs du peintre Jacques-Louis David (1784)au goût chinois, avec les sièges exotiques de la marquise de Marbeuf, du duc de Penthièvre ou de la princesse Kinsky (1785−1790) 
  • à l’« anglomanie » avec la vogue des sièges en acajou et des dossiers ajourés (1780−1790)

Il sut alors se forger une manière qui lui est particulière : rigueur des proportions, générosité des bois, sculpture répandue sur tous les bois, perfection de cette sculpture. 

Avec la Révolution, la condamnation et l’émigration de ses clients, Georges Jacob connut ses premières difficultés financières. Fournisseur de la cour et de l’aristocratie, il fut plusieurs fois dénoncé au Comité de salut public mais reçut la protection de son ami le peintre David grâce auquel il reçut des commandes pour la salle d’Assemblée des Tuileries (1793) 

La loi Le Chapelier (1791), supprimant le régime des corporations, apporta une bouffée d’oxygène à son atelier. Il put alors, en toute légalité, diversifier sa production, passant de la simple menuiserie en sièges à l’ébénisterie et à sa monture en bronzes.

En 1796, il céda son fonds de « boutique » et loua son atelier à ses deux fils, Georges II (1768- 1803) et François-Honoré-Georges (1770−1841). Ceux-ci travaillèrent alors sous la raison sociale « Jacob Frères », Georges Jacob n’ayant qu’un rôle de conseiller. En 1803, la mort de Georges II Jacob incita Georges Jacob à reprendre son l’activité en s’associant avec son fils, sous la raison sociale « Jacob-Desmalter et Cie » (du nom d’une propriété familiale en Bourgogne). Une véritable entreprise fut créée, employant jusqu’à 350 ouvriers. Important fournisseur de l’empire, la chute de celui-ci compromis gravement la prospérité de l’entreprise qui fit faillite en 1813, contraignant Georges Jacob, solidaire de son fils, à se réfugier à Chaillot dans l’asile pour vieillards de M. Chayla. C’est là qu’il mourut en 1814, sans avoir vu renaître l’entreprise sous la Restauration, dirigée à nouveau par son fils François-Honoré-George Jacob- Desmalter puis par son petit-fils Alphonse Jacob-Desmalter. 

  • Hauteur : 92 cm – 36 1⁄4 inches
  • Largeur : 65 cm – 25 1⁄2 inches
  • Profondeur : 55 cm – 21 35 inches

  • Georges Jacob (1739−1814), Ensemble de six fauteuils et deux bergères du même modèle livré en 1786 pour le Pavillon de Monsieur, Louis Stanislas de France, comte de Provence (1755−1824), frère du Roi Louis XVI, Paris, Mobilier national (inv. GMT-6094–000)

    • Michel Beurdeley, George Jacob (1739−1814) et son temps, Paris, Édition Monelle Hayot, 2002.

    • Honoré Bonhomme, Le Duc De Penthièvre (Louis-Jean-Marie De Bourbon) : Sa Vie, Sa

    • Mort (1725−1793) D’après Des Documents Inédits, Paris, Firmin Didot, 1869.

    • Jean-Jacques Gautier, Bertrand Rondot, Jean Vittet (dir.), Le château de Versailles raconte le mobilier national : quatre siècles de création, catalogue d’exposition, Versailles, Musée national du château de Versailles et de Trianon, 2011, p. 119 et p. 135.

    • Bill G.B. Pallot, Le mobilier du musée du Louvre, Tome 2, Paris, Édition Faton, 1993.

    • Juliette Trey (dir.), Madame Élisabeth, une princesse au destin tragique, 1764–1794, catalogue d’exposition, Milan, Silvana Editoriale, 2013.