Le goût pour la porcelaine est vif au XVIIIe siècle. Celle que l’on importe d’Asie ravit les collectionneurs, par sa finesse et ses motifs exotiques. La porcelaine dure produite depuis 1709 par la manufacture de Meissen est admirée par toute l’Europe. Cet art devient alors un enjeu politique et économique majeur.
Manufacture de Sèvres, Denis Levé (peintre), Boileau cadet (doreur), Seau à demi-bouteille en porcelaine tendre de Sèvres du service « riche en couleurs et riche en or » de la comtesse d’Artois, 1789, Galerie Léage
En 1740, Philibert Orry de Vignori, directeur général des Bâtiments du roi, installe à Vincennes une manufacture de porcelaine, rapidement soutenue financièrement par le roi Louis XV. La manufacture produit d’abord essentiellement de délicates fleurs de porcelaine tendre à l’aspect très naturaliste, piquées sur des baguettes de métal et assemblées en bouquet. Les recherches techniques aboutissent véritablement en 1748, et la manufacture prend son essor, notamment grâce à l’exceptionnel Bouquet de la Dauphine, que Marie-Josèphe de Saxe fait réaliser pour son père. Les ateliers déménagent en 1756 à Sèvres, dans des bâtiments construits spécialement pour les recevoir. Plus proche de Versailles et de Bellevue, récemment construit pour la marquise de Pompadour, la manufacture bénéficie ainsi de la protection du souverain et de sa favorite, qui en deviennent les principaux mécènes. Ils lui commandent de nombreuses pièces pour leurs résidences, mais aussi des cadeaux destinés à leur entourage ou aux souverains européens. Le roi organise également tous les hivers une présentation des derniers produits de la manufacture dans ses petits appartements, à destination de la Cour. Le prestige de la manufacture royale de Sèvres est alors assuré, en France comme en Europe.
Manufacture de Sèvres, Terrine du service bleu céleste du roi Louis XV, 1753–1754, Versailles, Châteaux de Versailles et de Trianon (inv. V 6061)
La manufacture de Sèvres se distingue par la recherche constante de formes innovantes menée par les artistes qui la dirigent. Jean-Claude Duplessis (1699−1774), dessinateur, orfèvre et bronzier d’origine turinoise, est chargé de la réalisation des modèles à partir de 1748. Formé auprès de Gilles-Marie Oppenordt (1672−1742) et de Juste-Aurèle Meissonnier (1695−1750), il propose d’abord des pièces très rocaille, qu’il épure par la suite. Sa première grande commande, le service « bleu céleste » du roi Louis XV, en 1752, lui permet de dessiner tout un répertoire de formes et de décors largement repris par la manufacture. Un de ses ensembles les plus remarquables est la garniture de cinq pièces qu’il dessine en 1760 pour la marquise de Pompadour, pour sa chambre à l’hôtel d’Évreux. Il comprend un pot-pourri ayant la forme très originale d’un vaisseau, et était encore complétée par deux appliques également en porcelaine.
Charles-Nicolas Dodin, Jean-Claude Duplessis,Manufacture de Sèvres, Pot-pourri « à vaisseau », vers 1760, Paris, Musée du Louvre (inv. OA 10965)
En 1762, le changement de goût qui s’opère dans les arts décoratifs se fait ressentir à Sèvres. Étienne-Maurice Falconet (1716−1791), à la tête de l’atelier de sculpture depuis cinq ans, adopte le goût grec. Les vases « antiques ferrés », d’une forme plus architecturée que les productions Louis XV, rencontrent un grand succès, et sont suivis par d’autres modèles néoclassiques, comme le « vase avec des cygnes » de Marie Lesczynska. Le peintre Jean-Jacques Bachelier (1724−1806) et le sculpteur Louis-Simon Boizot (1743−1809) font ensuite entrer plus largement le Néoclassicisme dans les productions de la manufacture.
En 1771, la manufacture perce enfin le secret de la porcelaine dure, qui lui autorise des développements nouveaux, notamment dans le domaine du biscuit, dont l’esthétique pure rappelle les marbres antiques. Trois ans plus tard, le comte d’Angiviller, directeur général des Bâtiments du roi, insuffle encore à la manufacture une inspiration nouvelle, en faisant entrer le goût étrusque dans son répertoire.
Manufacture de Sèvres, Vase « antique ferré », dit « de Fontenoy » ou « à cordon », d’une paire, époque Louis XVI, Paris, Musée du Louvre (inv. OA 10593)
Les changements de goût se succèdent à un rythme effréné au sein de la manufacture, aussi bien en matière de formes que de couleurs. Les fonds sont plutôt bleus vers 1752, puis jaunes, puis verts, puis « rose Pompadour » vers 1758, avant de foncer vers une sobriété toute néoclassique. Les marchands merciers sont sensibles à l’effet de mode que produisent les pièces de la manufacture et lui passent commande de nombreux ensembles pour leur clientèle. À partir de 1758, Simon-Philippe Poirier fait monter des plaques de porcelaine sur du mobilier, élargissant encore le goût pour celle-ci. Bernard II Van Riesenburgh (†1760), Martin Carlin (1730−1785) ou encore Roger Vandercruse (1728−1799) réalisent pour lui certaines des plus belles pièces de ce type. Les ébénistes poussent parfois le raffinement jusqu’à reproduire sur le bois le décor de la porcelaine, comme on l’observe sur le guéridon réalisé par Vandercruse conservé au musée Nissim de Camondo.
Martin Carlin, Guéridon à thé du salon ovale du pavillon de musique de Madame du Barry au château de Louveciennes, seconde moitié du XVIIIe siècle, Paris, Musée du Louvre (inv. OA 10658)
Pièces de forme, grands services de tables, garnitures de cheminées ou en placage sur le mobilier, la porcelaine règne sur les intérieurs français de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Suivant tous les goûts et toutes les modes, elle en suscite à son tour sous l’impulsion des artistes visionnaires de la manufacture. Aujourd’hui, elle conserve enfin un souvenir précis des couleurs vives qui ornaient les intérieurs du siècle des Lumières.
Bibliographie : Collection Connaissance des Arts « Grands Artisans d’Autrefois », Les porcelainiers du XVIIIe siècle français, Hachette, 1964
Pierre Ennès, Musée du Louvre, département des objets d’art, Un défi au goût. 50 ans de création à la manufacture royale de Sèvres (1740−1793), Éditions de la Réunion des musées nationaux, 1997
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