France, premier tiers du XVIIIe siècle (caisse), seconde moitié du XVIIIe siècle (décor peint)
Bois sculpté, mouluré, doré et peint en rouge et polychrome sur fond or
Provenance :
Cette calèche fût livrée pour la Couronne d’Espagne, très vraisemblablement pour le futur Charles III. Au dos de la caisse sont sculptées les petites armes des Bourbon d’Espagne : écartelé aux 1 et 4 de gueules au château d’or, donjonné de trois tours, ouvert d’azur (qui est de Castille), et aux 2 et 3 d’argent au lion de gueules armé, lampassé et couronné d’or (qui est de León) ; sur-le-tout d’azur à trois fleurs de lis d’or, à la bordure de gueules (qui est d’Anjou). Les armes sont timbrées d’une couronne d’infant.
Le train
Le train (essieu) à deux grandes roues arrières et deux petites devant est peint en rouge et doré sur le châssis tracteur. Chaque roue arrière est munie de huit rayons à décors de chapelets de perles, chacun situé entre deux motifs de feuilles allongées. Le périmètre des roues est orné d’une rosace ovale à pétales terminant chaque rayon, qui est flanquée de part et d’autre d’une rangée de piastres de taille décroissante. Les roues avant comportent chacune six rayons agrémentés des mêmes motifs.
L’avant-train est pourvu d’une barre de volée permettant vraisemblablement d’atteler deux animaux. Une roue disposée horizontalement autour d’un axe central permet de tourner et manœuvrer facilement.
L’avant-train et l’arrière-train sont ornés d’une sculpture élaborée à décors à la grecque tels que : des triglyphes, des frises de fleurs incluses dans des entrelacs, des rinceaux feuillagés, des rosaces, dont une disposée dans un médaillon porté par un nœud enrubanné fixé à une patère simulée (à l’arrière, sous l’écusson), des plumets surmontant des montants en gaine feuillagés et des chapiteaux, des faisceaux, des perles etc.
Les armatures sont en fer ciselé. Les ressorts de suspension sont en acier. Les lanières soupentes de suspension sont en cuir d’origine, ainsi que la tranche des roues.
La caisse
La caisse (nacelle) ouvrant par deux vantaux latéraux chacun muni d’une poignée et de gonds en bronze ciselé et doré, est peinte sur fond doré. On constate quelques restaurations sur les panneaux. On y distingue six scènes pastorales sur fond d’or :
- sur le panneau avant : une scène de colin-maillard avec un homme aux yeux bandés entouré de quatre jeunes femmes
- sur la porte droite : une pastorale avec un berger accompagné de son chien et de son troupeau, discutant avec deux femmes dont l’une assise tient un enfant sur ses genoux
- sur le panneau arrière droite : une scène de galanterie pastorale
- sur le panneau arrière : un mendiant tend son chapeau vers un cavalier qui se retourne en présence de deux spectateurs. On aperçoit une tour dans le lointain.
- sur le panneau arrière gauche : un jeune homme assis semblant rêver en compagnie d’un autre personnage debout effectuant un ample geste de ses bras
- sur la porte gauche : un berger appel son troupeau en soufflant dans une corne en compagnie de deux femmes dont l’une est assise et tient un enfant sur ses genoux.
Chaque panneau est souligné en haut par une frise de guirlandes polychromes fleuries et feuillagées.
Ceux-ci ont pu être réalisés par des artistes napolitains comme Francesco Celebrano (1729- 1814), Saverio Della Gatta (1777−1829) ou espagnol comme José Camaròn Boronat (1731- 1803).
L’encadrement en bois sculpté et doré est de forme légèrement mouvementée, sculpté de baguettes feuillagées entre les moulures, de chutes à feuilles d’acanthe, agrafes et enroulements sur les montants. La frise inférieure est ornée de motifs de fleurons et de fleurettes disposées en alternance avec diverses arabesques et s’achève à chaque extrémité par un puissant enroulement cannelé sur les tranches de la face et du dos.
Sous chaque porte figure un élégant tablier constitué de deux grandes feuilles d’acanthes à enroulements adossées et déployées.
La forme générale de la caisse ainsi que ses ornements semblent pouvoir être datés des premières années du XVIIIe siècle.
Le décor peint serait datable de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Cette différence de datation pourrait naturellement s’expliquer par l’usure d’usage d’une œuvre particulièrement exposées aux chocs et intempéries.
Historique des calèches
Apparue dans les écuries royales françaises en 1643, la calèche, voiture de ville et de promenade à quatre roues découverte, contenant deux sièges pour quatre personnes et dont le siège arrière pouvait être abrité par une capote, fut pendant plus de deux siècles la plus prisées des voitures. Ainsi, dès 1643, année où le jeune Louis XIV, âgé de 5 ans, monte sur le trône, est livrée une « petite calèche ». La calèche prit donc dès ses débuts des dimensions adaptées à l’usage par des enfants comme ici où, de plus il ne subsiste qu’un siège. Voiture de promenade pour enfant, cette calèche pouvait être tractée par un ou deux poneys, chèvres, ânes ou moutons et éventuellement par un ou plusieurs serviteurs mais rares sont les exemplaires des XVIIe et XVIIIe siècles à nous être parvenus intacts.
Une calèche royale
La richesse des boiseries et des peintures ainsi que le choix d’un fond d’or, sans conteste le plus coûteux, témoigne du prestige de son destinataire qui pourrait ainsi être l’un des héritiers du trône d’Espagne, le futur Charles III (1716−1788), premier enfant du second mariage de Philippe V et 3e dans la ligne de succession.
Au point de vue héraldique, et prenant comme référence la numismatique espagnole, Philippe V fut le premier roi Bourbon espagnol à utiliser le simple écartelé de Castille et León (sans Grenade avec Bourbon en sur-le-tout), dans la décade 1730–1740. La couronne surmontant l’écu est celle des infants d’Espagne. Par conséquent on peut avancer l’hypothèse que cette voiture fut réalisée pour l’un de ses enfants.
Il semblerait que la forme de l’écu en sur-le-tout, portant les armes d’Anjou, permette de distinguer les deux branches issues des mariages de Philippe V avec Marie- Louise de Savoie en 1701 puis avec Élisabeth Farnèse en 1714. Ainsi, la forme en écu serait celle utilisée pour les enfants issus de son premier mariage, Louis Ier (1707−1724) ou le futur Ferdinand VI (1713- 1759) alors que la forme ovale serait celle des enfants issus de son second mariage, Charles III d’Espagne (1716−1788), Philippe Ier de Parme (1720−1765) ou Louis Antoine d’Espagne (1727−1746).
À notre connaissance, aucune autre calèche de cette qualité ne figure dans une collection privée.
Philippe V (1683−1746)
Roi d’Espagne, chef de la maison des Bourbons d’Espagne, né en 1683 à Versailles, Philippe était le deuxième fils du Dauphin, dit « le Grand Dauphin », et petit-fils de Louis XIV. Il fut titré duc d’Anjou.
Appelé au trône d’Espagne en 1700 par le testament de son grand-oncle maternel Charles II, dernier roi d’Espagne de la dynastie des Habsbourg, il devient lui-même roi d’Espagne, premier de la dynastie des Bourbons, même si les premières années de son règne furent marquées par une guerre de Succession qui embrasa l’Europe jusqu’en 1714.
Marié en 1701 à Marie-Louise de Savoie qui lui donna deux fils, Louis et Ferdinand, il se remaria avec Élisabeth Farnèse en décembre en 1714 qui lui donnera notamment deux autres fils, Charles et Philippe.
Son règne ayant duré 45 ans et 2 jours, même s’il fut marqué par une abdication de quelques mois en 1724 en faveur de son fils ainé Louis, est le plus long de la monarchie espagnole.
Charles III d’Espagne (1716−1788)
Premier fils de Philippe V d’Espagne et de sa seconde épouse, la princesse Élisabeth Farnèse, il n’est pas destiné à régner à Madrid, le trône d’Espagne devant revenir à son demi-frère Ferdinand né du mariage de son père avec Louise de Savoie. Il devint donc d’abord duc de Parme et de Plaisance sous le nom de Charles Ier en 1731, roi de Naples en 1734 puis de Sicile en 1735.
Ferdinand mourant sans héritier, Don Carlos abdiqua sa royauté italienne et monta sur le trône d’Espagne et des Indes en 1759 à l’âge de 43 ans, avec déjà une solide expérience réformatrice. S’appuyant sur des légistes et des ministres d’abord italiens puis espagnols, il multiplie les réformes économiques (abolition des douanes intérieures, colonisation de la Sierra Morena, liberté de commerce avec l’Amérique, etc.) et culturelles (stimulation de la recherche scientifique et de l’enseignement après l’expulsion des jésuites (1767)).
À l’extérieur, rompant avec la politique de neutralité de Ferdinand VI, il s’allie à la France contre la Grande-Bretagne par le pacte de Famille (1761), qui l’entraîne dans la guerre de Sept Ans (1762) puis dans la guerre de l’Indépendance américaine (1779) au cours de laquelle il reprend Minorque (1782).