
France, époque Louis XVI, 1787
Estampillée G. BENEMAN sur l’une d’entre elles
Guillaume (Jean) Benneman (1750−1811)
Marques à l’encre du Garde-Meuble sur les encoignures : deux G enlacés et couronnés
Acajou flammé, bronze doré et ciselé
Marbre bleu turquin
Provenance :
- Livrées en 1787 pour le salon de Marc-Antoine Thierry, baron de Ville d’Avray à Versailles pour le nouvel hôtel du Garde-Meuble, 9–11, rue des Réservoirs, ou pour ses appartements situés dans l’ancien appartement de Madame du Barry au château de Versailles
- Livrées en octobre 1791 par Guillaume Benneman après restauration et enrichissement au palais royal des Tuileries pour meubler l’appartement du roi Louis XVI
Longueur des côtés : 82 cm – 32 1⁄4 inches
Largeur de la face : 115 cm – 45 1⁄4 inches
Hauteur : 99,5 cm – 39 inches
D’un goût sobre et élégant, cette paire d’encoignures est un témoin privilégié des dernières heures de l’Ancien Régime. Réalisée par l’ébéniste de la Couronne pour l’intendant du Garde-Meuble, elle révèle l’organisation de cette institution en charge de l’ameublement des résidences royales.
BENNEMAN, DERNIER ÉBÉNISTE DU ROI LOUIS XVI
Ébéniste allemand né en 1748 en Westphalie, Jean Benneman (1748-après 1804) s’installe à Paris en 1773 entre le Louvre et le Palais-Royal. Il est reçu maître ébéniste de manière exceptionnelle en 1785, sur ordre du Contrôleur général des Finances Charles-Alexandre de Calonne. Il est alors enregistré sous le prénom « Guillaume », qu’il conservera par la suite et que l’on retrouve dans son estampille G.BENNEMAN (Fig. 1).

Fig. 1 – Estampille de Guillaume (Jean) Benneman, détail d’une des encoignures de notre paire
L’ébéniste est choisi au même moment par le nouvel intendant du Garde-Meuble de la Couronne, Marc-Antoine Thierry de Ville d’Avray (1732−1792), pour remplacer Jean-Henri Riesener (1734−1806). Benneman est doté d’un atelier important comptant 10 établis, et répond à de nombreuses demandes de l’institution royale. Installé au 6 rue du Forez, au nord du Marais, il répare d’anciens meubles, complète certains ensembles déjà présents dans les résidences royales et livre de nouvelles pièces. La réalisation des plus beaux meubles de la fin de l’Ancien Régime lui est ainsi confiée.
La production de Benneman se caractérise par des lignes élégantes et puissantes. Elle comprend un mobilier réalisé à partir de modèles récurrents, souvent élégamment plaqué d’acajou ou de bois indigènes, ainsi que quelques commandes exceptionnelles. Passant d’un goût Louis XVI sobre et mesuré à un goût Consulat plus orné, Benneman suit avec habileté les changements esthétiques des deux dernières décennies du XVIIIe siècle.

Fig. 2 – Guillaume (Jean) Benneman, Commode exécutée en 1787 pour Cécile Marguerite Thierry de Ville d’Avray, épouse de Marc Antoine Thierry de Ville d’Avray, intendant du Garde-Meuble, 1787, Paris, Musée du Louvre (inv. OA 5504)
© 2012 Musée du Louvre, Dist. GrandPalaisRmn / Thierry Ollivier
Estampillée par l’ébéniste, notre paire d’encoignures correspond au noble goût Louis XVI favorisé par Benneman à la fin des années 1780. Livrées pour Thierry de Ville d’Avray à Versailles, elles sont à rapprocher de deux commodes commandées par l’intendant en 1787 pour l’appartement de son épouse à l’hôtel du Garde-Meuble. Ces meubles sont toujours connus aujourd’hui : l’un est conservé au musée du Louvre (Fig. 2) et l’autre a retrouvé l’Hôtel de la Marine (Fig. 3). Commodes et encoignures présentent le même placage de bel acajou flammé, la même frise de cannelures et de guirlandes fleuries en bronze doré, ainsi que les mêmes encadrements de façade. Leurs lignes simples et droites, leur discrète ornementation à l’antique, relèvent d’un néoclassicisme parfaitement maîtrisé et mesuré.

Fig. 3 - Guillaume (Jean) Benneman, Commode exécutée en 1787 pour Cécile Marguerite Thierry de Ville d’Avray, épouse de Marc Antoine Thierry de Ville d’Avray, intendant du Garde-Meuble, 1787, Paris, Hôtel de la Marine (inv. HDM2022800363)
© Benjamin Gavaudo / Centre des monuments nationaux
LE GARDE MEUBLE DE LA COURONNE À LA FIN DE L’ANCIEN RÉGIME
Nommé en 1784 à la tête du Garde-Meuble, Marc-Antoine Thierry de Ville d’Avray instaure une révision majeure de l’institution. Elle se traduit par une importante rationalisation des coûts et une réorganisation du circuit de commande. L’intendant met en place une régie particulièrement novatrice, dirigée par le sculpteur Jean Hauré (1739-après 1796), qui coordonne la réalisation et la réfection de tout le mobilier royal de 1784 à 1789. Ville d’Avray réussit ainsi le tour de force de renouveler l’ameublement des résidences royales en seulement cinq ans.
Des encoignures pour l’intendant du Garde-Meuble
Benneman s’insère dans cette organisation originale et travaille sous l’égide d’Hauré pour les commandes d’ébénisterie. Ce dernier enregistre la livraison de notre paire d’encoignures pour Ville d’Avray à Versailles en 1787. On lit ainsi dans un mémoire du Garde-Meuble daté du 21 septembre et rédigé de sa main (1) :
« Pour le Service de Monsieur le Contrôleur général
Pour le Salon fourni deux Encoignures en armoires de 15 pouces de profondeur ornées de frise à canaux et culots, moulures unies, moulures en rais de cœur, dessus de marbre blanc.
Benneman – Ébénisterie .….116 l. 15 s.
Michel – Serrurerie .….17 l. 8 s.
Ravrio et Bardin – Fonte .….58 l. 14 s.
Cantelou – Dorure d’or moulu .…82 l. 17 s.
Lanfant – 2 dessus de marbre blanc toisant ensemble 4 pds .….24 l.
Journées du Sr Benneman et faux-frais.…..72 l. »
Nos encoignures rejoignent alors l’appartement de Thierry de Ville d’Avray à l’hôtel du Garde-Meuble de Versailles rue des Réservoirs, ou peut-être encore son logement au château de Versailles.
La marque aux deux G couronnés
On retrouve par ailleurs sur cette paire d’encoignures l’estampille aux deux G couronnés (Fig. 4). Longtemps restée mystérieuse, cette marque a récemment été étudiée par Renaud Serrette. Elle correspond vraisemblablement à celle du Garde-Meuble royal. Apposée le plus souvent au fer, et parfois au pinceau comme ici, elle distingue les meubles livrés directement au Garde-Meuble par les artisans, des meubles en cours de transfert entre deux affectations ou encore des pièces stockées pour une longue période dans les réserves de l’institution.

Fig. 4 - Marque à l’encre aux deux G couronnés, détail d’une des encoignures de notre paire
Déjà observée sous le règne de Louis XV, cette estampille se retrouve sur de nombreux meubles livrés entre la fin des années 1780 et 1792. Elle constitue un témoignage précieux du passage de nos encoignures dans les collections du Garde-Meuble.
La régie d’Hauré prend fin en juin 1789. Benneman traite alors directement avec le Garde-Meuble – ce qu’il avait déjà eu l’occasion de faire ponctuellement auparavant. Malgré les troubles de la Révolution française, il continue à recevoir quelques commandes de l’institution royale qui poursuit sa mission. L’un de ses plus importants chantiers se trouve alors être le palais des Tuileries, où le roi et la famille royale résident à partir d’octobre 1789.
LA FAMILLE ROYALE AUX TUILERIES
Le 6 octobre 1789 au matin, un courrier urgent arrive au palais des Tuileries, intimant à ses occupants de libérer les lieux pour l’arrivée de la famille royale le jour même. Conduits par la foule depuis Versailles, le roi Louis XVI, la reine Marie-Antoinette, le Dauphin, Madame Royale sa sœur, ainsi que Madame Élisabeth, sœur du roi, sont contraints de s’installer à Paris.
Le palais des Tuileries qui doit les accueillir est dans un piteux état. La dernière visite du roi remonte à 1744 et les appartements sont habités par divers pensionnés et protégés, qui ont posé des cloisons, entresolé des pièces et percé des conduits de cheminée sans égards pour le château royal. Lorsque la famille royale arrive, le plus grand désordre règne, les appartements sont en chantier et quelques rares meubles délabrés s’y trouvent encore. Seul l’appartement que la reine s’était fait aménager en 1784 à l’entresol du premier étage, pour servir de pied-à-terre lors de ses sorties à l’Opéra, est en bon état.
L’urgence est donc à l’ameublement du palais. Dès le 8 octobre le Garde-Meuble envoie sans discontinuer meubles, étoffes et tapisseries. Le mobilier d’autres châteaux de la Couronne est récupéré : le meuble en bois doré de la chambre du roi à Choisy est apporté jusqu’à Paris pour son grand appartement. Les trois fameuses commodes de Riesener exécutées pour le salon des Nobles de la reine à Versailles (Fig. 5) rejoignent à leur tour les Tuileries en janvier 1790, et sont in

Fig. 5 – Jean-Henri Riesener, Commode du salon des Nobles de la reine à Versailles, livrée pour la chambre du roi aux Tuileries en 1790, époque Louis XVI, Paris, Musée du Louvre (inv. OA 5229), actuellement en dépôt au château de Versailles
© GrandPalaisRmn (musée du Louvre) / RMN Agence photo
Après l’échec de la fuite à Varennes en juin 1791, la famille royale s’installe de manière plus pérenne aux Tuileries, et entreprend d’importants travaux de réaménagement. C’est dans ce contexte que notre paire d’encoignures est reprise par Benneman avant de rejoindre l’appartement du roi.
Un mémoire de l’ébéniste daté d’octobre 1791 (2) dit ainsi :
« Pour le Service du Roi
Avoir replaqué deux grandes encoignures en bois d’acajou orné de pilastres à cannelures et rosaces dans les cases, moulures haut et bas, les panneaux décorés de cadres unis et doubles cadres à perles, fausses entrées de serrures et entrées à l’anglaise, les pieds faits à neuf semblables à ceux des commodes avec sabots et carderons ciselés, le tout de bronze doré d’or moulu, fourni les deux dessus de marbre bleu turquin, prix fait pour chacune des encoignures à la somme de (ensemble des deux) 800 livres. »

Fig. 6 - Guillaume (Jean) Benneman, Paire d’encoignures, détail, 1787, Galerie Léage
Restaurées et garnies de nouveaux marbres bleu turquin, qu’elles conservent encore aujourd’hui, les encoignures prennent alors place dans la dernière demeure du roi Louis XVI.

Références
1. Archives Nationales (Marais), « Comptes, mémoires, relevés, factures de toutes sortes, des fournisseurs et des ouvriers du Garde-Meuble », Maison du Roi (O1 3645)
2. Archives nationales, Archives nationales (Marais), « Comptes, mémoires, relevés, factures de toutes sortes, des fournisseurs et des ouvriers du Garde-Meuble », Maison du Roi (O1 655)
Bibliographie
Jean Pichelin, « Benneman. L’ultime ébéniste de Louis XVI » in L’Objet d’Art n° 614, septembre 2024, p.64–69
Ouvrage collectif, La famille royale à Paris : de l’histoire à la légende, Paris Musée, 1993
Jean Charles (dir.), De Versailles à Paris. Le destin des collections royales, Centre culturel du Panthéon, 1994