Un écrin des collections Rothschild

Hannah de Rothschild dans le hall de Mentmore, vers 1850, collection comte de Rosebery
La cheminée provient de la demeure de Rubens à Anvers.
L’une des plus vastes demeures élevées par les Rothschild au Royaume-Uni, Mentmore est un joyau de l’architecture britannique. La démesure de ses proportions n’avait d’égale que le faste de ses intérieurs.

Château de Mentmore, construit par Joseph Paxton entre 1850 et 1855
© Tim Ockenden/PA Images via Getty Images
À l’extrême fin du XVIIIe siècle, Mayer Amschel Rothschild (1744 –1812), fondateur de la dynastie, envoie depuis Francfort quatre de ses fils dans les capitales financières européennes afin d’y développer les affaires familiales. Leur succès est fulgurant : ils deviennent de puissants banquiers d’État au XIXe siècle. Nathan (1777 –1836), installé à Londres dès 1809, fonde la branche anglaise de la famille. À la tête de N M Rothschild, il devient dès 1814 le premier partenaire financier de la Couronne britannique. Ses fils développent encore son empire financier. Mayer (1818 –1874), son quatrième né, y ajoute même une dimension politique. Installé dans le Buckinghamshire, il devient d’abord « High Sheriff » de la région avant d’accéder au poste de député. En 1850, à la tête d’une fortune considérable, il décide de la construction d’une demeure à la mesure de ses ambitions.

Lucien-François Feuchère (attribué à), Paire de candélabres, vers 1784–1786, Los Angeles, J. Paul Getty Museum (inv. 71.DF.99)
Ces candélabres ont été acquis par Mayer de Rothschild en 1864 auprès du marchand parisien Louis-Auguste-Alfred Beurdeley.
Grands bâtisseurs, les Rothschild érigent de superbes demeures au XIXe siècle. En 1850, Mayer choisit l’architecte Joseph Paxton (1803 –1865) pour construire un château sur des terres qu’il vient d’acquérir à Mentmore. Paxton imagine une architecture jacobéenne directement inspirée de Wollaton Hall, construit au XVIe siècle par Robert Smythson (1535–1614). Cette démarche historiciste sert les ambitions politiques de Mayer qui souhaite s’ancrer dans la tradition britannique avec cette demeure.
L’intérieur, en revanche, est d’une modernité remarquable. Organisé selon un plan carré flanqué de quatre tours, le château se déploie autour d’un grand hall central entouré de galeries ouvertes à l’italienne. Cette pièce, utilisée comme salon et pièce de réception, surprend par son gigantisme. Elle est éclairée par une verrière construite suivant les dernières innovations de Paxton pour le Crystal Palace. Comble du confort, le château est doté de l’eau chaude courante et du chauffage central. La famille s’installe dès 1855 dans ce qui est alors la plus vaste demeure Rothschild en Angleterre.

Hall de Mentmore
Pendues à la verrière, trois lanternes provenant du Bucentaure, la fameuse galère de parade des Doges de Venise.
Au mur, la tenture de douze tapisseries des Gobelins acquise en 1852.
Homme politique et financier, Mayer de Rothschild est également un collectionneur avisé. Dès la fin des années 1830, il acquiert de précieux tableaux, meubles et objets d’art. Un marchand anglais réputé, Alexandre Barker, l’assiste en recherchant pour lui des œuvres d’art à travers toute l’Europe. Mentmore est un écrin privilégié pour cette collection. En juillet 1852, une série de douze tapisseries des Gobelins est acquise pour le grand hall, suivie des boiseries d’époque Louis XV de l’hôtel de Villars à Paris, qui sont remontées dans la salle à manger. Doté d’un goût éclectique, favorisant le monumental, la polychromie et les grandes provenances, Mayer réunit dans son château des œuvres de France, d’Angleterre, d’Italie, d’Allemagne ou des Pays-Bas. Il mélange les époques : le baroque allemand et italien et le XVIIIe siècle français trouvent également grâce à ses yeux. La Renaissance est l’une de ses périodes de prédilection : de rares émaux de Limoges, des ivoires allemands et une exceptionnelle collection d’ambres prennent place dans les salons de Mentmore.

Adam Weisweiler (attribué à), Armoire basse livrée en 1788 par le marchand mercier Dominique Daguerre pour la garde-robe de Louis XVI au château de Versailles, 1788, Versailles, Châteaux de Versailles et de Trianon (inv. V 5296)
Ce meuble faisait partie des collections de Mayer de Rothschild à Mentmore, puis par descendance aux Rosebery.
© RMN-GP (Château de Versailles) / Droits réservés
Les arts décoratifs français du XVIIIe siècle tiennent une place privilégiée au sein de cette collection. Les pièces de réception comme les chambres de Mentmore sont garnies de superbes meubles de cette époque. Même les salles de bain sont dotées de commodes Louis XV ou Louis XVI, dont le marbre est percé afin d’y placer une vasque et un robinet. Rares sont les amateurs à s’intéresser à cette période si tôt dans le XIXe siècle, et Mayer fait ainsi figure de précurseur en la matière. Il rassemble au fur et à mesure des années des pièces des plus grands artisans du siècle des Lumières : Jean-François Œben, Jean-Henri Riesener, André-Charles Boulle, la manufacture de Sèvres. Par leur rareté et leur provenance, elles constituent un ensemble exceptionnel, rarement égalé dans l’histoire des collections. Parmi les chefs‑d’œuvre du XVIIIe siècle conservés à Mentmore, on peut noter deux paires de meubles attribuées à Ferdinand Bury (1740 –1795) en érable sycomore peint à l’huile. Appartenant à un ensemble très restreint de meubles imaginés dans les années 1770, elles correspondent à un goût particulièrement orignal et raffiné, servi par un savoir-faire remarquable. L’une de ses paires fait aujourd’hui partie de la collection de la Galerie Léage.

Ferdinand Bury (ébénisterie attribuée à), Jean-Louis Prévost (décor peint attribué à), Jean-Baptiste II Thuart (probablement livrée par), Paire de meubles d’appui à décor peint, vers 1770–1775, Galerie Léage
Ces meubles proviennent de la collection d’Hannah de Rothschild à Mentmore, puis par descendance aux Rosebery.
Hannah de Rothschild, fille unique de Mayer, hérite du domaine et de ses collections. Elle épouse en 1878 le 5e comte de Rosebery, et Mentmore est ensuite légué à leur fils Harry. En 1977, accablé par d’importants frais de succession, le 7e comte de Rosebery se voit contraint de disperser son contenu dans ce qui fut alors qualifié de « la vente du siècle ».
Bibliographie :
- Pauline Prévost-Marcilhacy, Les Rothschild, bâtisseurs et mécènes, Flammarion, 1995
- Catalogue de vente, Sotheby’s Parke Bernet & Co, mai 1977, Mentmore, Buckinghamshire
- Pascale Villiers Le Moy, “Les fabuleuses collections du château de Mentmore,” L’Estampille, no. 85, April 1977, pp. 30–33.