L’Interlude – Collection Adam Weisweiler


UNE COMMODE CONSULAT PAR ADAM WEISWEILER
France, période Consulat, début du XIXe siècle
D’après un dessin de Charles Percier (1764−1838)
Attribuée à Adam Weisweiler (1746−1820)
Acajou, bois doré et peint, bronze doré et laiton
Marbre portor

Provenance :
- En 1808 cette commode se trouvait dans la chambre à coucher du 1er étage de l’Hôtel d’Elbeuf où résidait Jean-Jacques Régis de Cambacérès- Collection de Monsieur Jean Lefèvre, constituée dans les années 1950 ; par descendance jusqu’au dernier propriétaire.

Hauteur : 98 cm – 38 1⁄2 inches
Largeur : 155 cm – 61 inches
Profondeur : 62,5 cm – 24 1⁄2 inches

Réalisée par l’un des plus grands ébénistes de la fin du XVIIIe siècle, cette commode témoigne de l’élaboration du goût Consulat et de l’œuvre de certains de ses acteurs majeurs. Sa provenance illustre retrace l’histoire de l’ameublement des grandes demeures d’état au début du XIXe siècle, et la rattache aux plus beaux meubles de la période.

Adam Weisweiler après la Révolution française

L’ébéniste Adam Weisweiler (1744−1820) mène une brillante carrière à la fin du XVIIIe siècle. Travaillant en étroite collaboration avec le marchand mercier Dominique Daguerre (mort en 1796), il réalise un mobilier d’une élégance et d’un luxe incomparables, à destination de l’aristocratie et de la famille royale.
Après la Révolution française, l’ébéniste poursuit sa carrière au sein d’une société nouvelle dans laquelle s’épanouit une bourgeoisie militaire et administrative. En 1797, il acquiert une maison rue des Tournelles où il tient probablement boutique en plus de son activité d’ébéniste.

Fig. 1 – Adam Weisweiler et Pierre-Philippe Thomire (attribué à), Martin-Éloi Lignereux (probablement sous la direction de), Secrétaire à panneaux de marbre, avant 1800, Aranjuez, Palais Royal

Daguerre meurt l’année suivante et Weisweiler poursuit sa collaboration avec l’ancien associé du marchand, Martin-Éloi Lignereux (1751−1809). Par son intermédiaire, il collabore régulièrement avec le bronzier Pierre-Philippe Thomire (1751−1843) pour la création d’un mobilier d’un grand raffinement. Ensemble, ils participent à l’élaboration d’un goût nouveau, et répondent à des commandes prestigieuses.  Une commode et un secrétaire réalisés pour le roi Charles IV d’Espagne à Aranjuez (fig. 1), ou encore deux serre-bijoux livrés pour la reine Hortense quelques années après comptent parmi elles.

Fig. 2 – Adam Weisweiler et Pierre-Philippe Thomire (attribuée à), Martin-Éloi Lignereux (probablement sous la direction de), Commode à panneaux de laque, avant 1800, Saint-Pétersbourg, Musée de l’Ermitage

Les noms de Weisweiler, Thomire et Lignereux sont associés à la réalisation d’un ensemble de meubles auquel se rattache notre commode. Parmi eux se trouvent la commode et le secrétaire d’Aranjuez, déjà cités, ainsi que deux commodes (fig. 2) et un secrétaire conservés au musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg. Leur grande richesse, la qualité remarquable de leur construction et le détail de leur ornementation les rapprochent. Ils témoignent tous du goût Consulat, transition entre le mobilier Louis XVI et l’Empire.

Entre Louis XVI et Empire : le goût Consulat

Entre 1789 et 1804, les goûts Directoire et Consulat constituent une transition subtile entre Louis XVI et Empire. Le marchand mercier Martin-Éloi Lignereux est, avec les Jacob, l’un des acteurs majeurs de cette période. Simplifiant les formes et l’ornementation, ils privilégient un vocabulaire antiquisant d’une grande justesse archéologique. L’égyptomanie suscitée par la campagne d’Égypte (1798−1801) devient également l’une des principales sources d’inspiration.

Le groupe de meubles auquel se rapporte notre commode témoigne de ce nouveau goût. Leur forme, leur structure et leur rythme sont encore proches de celle du mobilier de l’Ancien Régime, mais leur ornementation témoigne d’une influence nouvelle. Les bronzes dorés de notre commode conservent ainsi dans leur dessin et leur ciselure toute la finesse et l’élégance des réalisations du règne de Louis XVI. Les motifs employés sont quant à eux originaux – losanges courbés appointés de palmettes allongées, sphinges dont la queue se termine en enroulements, double-étoiles à six branches et masques de Diane encadré d’une couronne de lauriers (fig. 3).
 

Fig. 3 – Adam Weisweiler (attribuée à), Commode en acajou provenant de l’hôtel d’Elbeuf, détail, époque Consulat, Galerie Léage

Fig. 4 – Charles Percier, Commode en acajou, citronnier et ébène, ornée d’une plaque en porcelaine et de bronzes, ancienne collection Roche

Ce groupe de meubles est vraisemblablement réalisé d’après l’architecte et ornemaniste Charles Percier (1764−1838), troisième figure majeure des goûts Directoire et Consulat. Un dessin de sa main anciennement conservé dans la collection Roche (fig. 4) représente une commode apparentée en tous points aux commodes et secrétaires précédemment cités, notamment par son piètement à pattes de lion et cul-de-lampe orné d’une palmette.
Travaillant pour la haute société de la période et jouissant d’une grande renommée, Percier publie en collaboration avec son associé Pierre Fontaine (1762−1853) de nombreux dessins d’intérieurs et de mobilier. Très proche de la famille Jacob, il évolue dans le même milieu parisien que Lignereux. La fille de ce dernier épouse par ailleurs François Honoré Georges Jacob-Desmalter, fils de Georges Jacob, en 1798. Lignereux et l’ornemaniste ont ainsi certainement eu l’occasion d’échanger, comme ces meubles en témoignent.

L’ameublement de l’hôtel d’Elbeuf pour Jean-Jacques Régis de Cambacérès

Deuxième consul en 1799, puis archichancelier de l’empereur Napoléon Bonaparte en 1804, Jean-Jacques Régis de Cambacérès (1753−1824) est le second homme à la tête de l’état de 1799 à 1815. Après avoir été nommé consul, il choisit de s’installer à l’hôtel d’Elbeuf, rue Saint-Nicaise, à proximité immédiate du palais des Tuileries.
 


Fig. 5 - Frédéric-Henri Schopin, Jean-Jacques Régis de Cambacérès, duc de Parme, 1824–1842, d’après un portrait de 1814, Versailles, Châteaux de Versailles et de Trianon (inv. MV 4716) © Château de Versailles, Dist. RMN / © Christophe Fouin


Cambacérès meuble rapidement sa résidence et puise pour cela dans les réserves du Garde-Meuble. Il choisit un mobilier particulièrement riche, en accord avec son nouveau statut. Quelques-uns des plus beaux meubles de l’Ancien Régime mais aussi des pièces plus modernes constituent ainsi le cadre de ses somptueuses réceptions officielles. Parmi les meubles choisis se trouve notre commode.

En 1808, elle est mentionnée dans l’inventaire dressé avant le déménagement de Cambacérès à l’hôtel de Roquelaure. Dans la chambre à coucher du premier étage se trouve ainsi : « Une commode, neuve, genre antique à dessus de marbre portor, la dite en bois acajou, ornée de bronze doré au mat, la devanture à 3 petits tiroirs, dans l’épaisseur de la frise, avec têtes de Mercure et griffons, grands tiroirs au-dessous avec différentes entrées de serrures et poignées formées par des boutons, les panneaux des côtés à couronnes de feuilles de laurier et têtes de Diane, les traverses du bas à moulures dorées et parties en couleur de bronze antiques, pieds à griffes de lion et cadre de baguettes avec filet de cuivre doré 1m55c de large 1m de haut. »
La commode accompagne Cambacérès dans sa nouvelle résidence et s’y trouve encore en 1816.

La suite de son parcours au XIXe siècle et au début du XXe siècle n’a pas pu être retracé. On la retrouve en 1950 chez le collectionneur Jean Lefèvre (fig. 6).

Fig. 6 – Collection de Monsieur Jean Lefèvre dans Le décor d’aujourd’hui, n°89, 1954, « Insignes souvenirs impériaux », p. 298

Arch. nat O2 701, Hôtel du Carrousel : inventaire général du mobilier de l’archichancelier Cambacérès, 138 folios, 1807–1808

Bibliographie

Arch. nat O2 701, Hôtel du Carrousel : inventaire général du mobilier de l’archichancelier Cambacérès. 138 folios. 1807–1808
Arch. nat. O2 506, dossier 17, pièce 1, Lettre au grand maréchal du Palais, 1808
Arch. nat. 286 AP 2 dossier 1 pièce 140, Dossier relatif à l’évacuation de l’hôtel de Cambacérès à Paris, place du Carrousel, 17 mars – 2 septembre 1808
Arch. nat. N/III/ Seine, 850, Catalogue général des cartes, plans et dessins d’architecture. Tome I. Hôtel d’Elbeuf, rue Saint-Nicaise (empl. Plce du Carrousel) ; élév. De l’entrée sur le Carrousel, fin du XVIIIe siècle
Patricia Lemonnier, Weisweiler, Éditions d’Art Monelle Hayot Paris, 1983, p. 60–61
Jean-Pierre Samoyault, Mobilier Français Consulat et Empire, Paris, édition Gourcuf Gradenigo, 2009, pp. 31–33

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