
Richard de Lalonde (d’après), Paire de consoles, provenant probablement de l’hôtel de la Vaupalière d’après l’inscription « DelaVaup » sous l’un des marbres, détail, vers 1760–1765, Galerie Léage, ancienne collection de Madame Henriette Bouvier
Entre la rue du faubourg Saint-Honoré et l’avenue des Champs-Élysées se trouve l’un des plus beaux hôtels particuliers de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Joyau de l’architecture néoclassique, il abrite durant le siècle des Lumières une superbe collection de mobilier.

Jean-François Œben, Secrétaire provenant de l’hôtel de La Vaupalière, et formant pendant avec un chiffonnier (OA 5167), saisi à la Révolution à l’hôtel de La Vaupalière, vers 1760, Paris, Musée du Louvre (inv. OA 5166)
© Musée du Louvre, Dist. RMN-Grand Palais / Thierry Ollivier

Jean-François Œben, Secrétaire, vers 1760, Galerie Léage
Le Roule connaît un développement important dans les années 1720, alors que le Régent et la cour ont rejoint Paris. Les aristocrates, qui peinent à se loger dans la capitale, investissent ce faubourg alors essentiellement habité par des maraîchers cultivant les potagers et les vergers alentours. De nombreux hôtels particuliers y sont construits. Aristocrates, financiers et bourgeois cohabitent harmonieusement dans ce nouveau quartier à la mode, dont le marquis de Bombelles dit en 1788 qu’il n’y a « pas de partie de la capitale plus commode, plus vivante à habiter ». C’est dans ce contexte que l’architecte Marie-Louis Colignon (1726−1793) acquiert en 1765 plusieurs parcelles entre la rue du faubourg Saint-Honoré et les Champs-Élysées. Après avoir fait démolir les quelques maisons et la brasserie qui s’y trouvaient, il entreprend en 1768 la construction d’un superbe hôtel particulier entre cour et jardin.

Élévation sur le jardin de l’hôtel de La Vaupalière, 1768
Fruit d’une conception ambitieuse, le bâtiment déploie un vocabulaire néoclassique affirmé et précoce. Doté d’un corps de logis central à deux niveaux, flanqué d’ailes basses, il emprunte pour son ornementation et son rythme au Petit Trianon récemment érigé par Ange-Jacques Gabriel (1698−1782). La dimension palatiale de cet hôtel sied à son premier locataire Pierre-Charles-Étienne Maignart, marquis de La Vaupalière (1730−1816). Premier sous-lieutenant de la première compagnie des mousquetaires du roi, il obtient en 1769 avec son épouse un bail à vie pour cet hôtel qui portera désormais son nom. Menant grand train, le marquis de La Vaupalière côtoie les plus grands du royaume. Son penchant pour le jeu l’amène à fréquenter les salons du prince de Conti, du duc de Chartres, du prince de Condé ou encore de madame de Genlis. Le marquis et la marquise reçoivent avec faste une société cultivée. En 1783, une soixantaine de personnes assiste chez eux à la première lecture du très moderne Mariage de Figaro, par son auteur Beaumarchais. Quelques années plus tard, en 1788, une fête à l’occasion du mariage de mademoiselle de Matignon est donnée à l’hôtel de La Vaupalière. La table est garnie d’une véritable rivière peuplée de poissons vivants et animée sur ses rives de maisons et de personnages miniatures. Un superbe feu d’artifice, orchestré par le grand Ruggieri, vient somptueusement clore la soirée.

Richard de Lalonde (d’après), Paire de consoles, provenant probablement de l’hôtel de La Vaupalière d’après l’inscription « DelaVaup » sous l’un des marbres, vers 1760–1765, Galerie Léage, ancienne collection de Madame Henriette Bouvier
Célèbre pour le faste de ses hôtes, l’hôtel de La Vaupalière est également fameux pour ses décors et son mobilier. Le marquis possède un goût sûr et luxueux. Avant l’achèvement des travaux en 1769, il ordonne des modifications et des enrichissements aux décors de boiserie des salons de l’hôtel. Il fait appel aux artisans les plus renommés et les plus novateurs pour son ameublement. Déjà client de Jean-François Œben (1721−1763) au début des années 1760, il fait également appel au bronzier Jean-Jacques Caffieri (1725−1792) et à l’ébéniste Pierre Garnier (1726÷1727−1806). Comme de nombreux amateurs d’art de son temps, il se fournit également auprès du grand marchand mercier Dominique Daguerre.
Quelques meubles provenant de l’hôtel de La Vaupalière sont encore connus aujourd’hui. Ils relèvent tous du goût grec qui se développe à Paris dans les années 1760. Un secrétaire et un chiffonnier en pendant, réalisés par Œben vers 1760, sont aujourd’hui conservés au musée du Louvre. Leur décor en placage de marqueterie « à cubes sans fond » et leur ornementation de bronze doré s’inspirent des décors romains antiques. Provenant probablement de l’hôtel de La Vaupalière, comme l’indique une inscription manuscrite sous l’un de ses marbres, cette paire de consoles de notre collection témoigne également de ce goût particulièrement novateur.

Pierre Garnier, Secrétaire en laque du Japon, saisi à l’hôtel de La Vaupalière en 1795 puis placé chez le ministre de la Justice en 1796, vers 1770⁄1775, Paris, Musée du Louvre (inv. OA 6084)
© 2017 GrandPalaisRmn (musée du Louvre) / Stéphane Maréchalle
Après la Révolution, le marquis et la marquise de La Vaupalière émigrent dès 1790. L’hôtel et ses biens sont alors placés sous séquestre et il devient l’un des dix-neuf dépôts de meubles de Paris. Son contenu est dispersé lors de plusieurs ventes en 1795 et 1796, et même cédé par grands ensembles lors de la première et de la seconde loterie nationale. La réputation du mobilier du marquis a cependant attiré l’attention de quelques citoyens avisés : Bayard, inspecteur du Garde-Meuble national, réserve ainsi plusieurs pièces pour le palais directorial du Luxembourg dont le secrétaire et son chiffonnier précédemment cités, ou encore un superbe secrétaire en laque du Japon de Garnier. Comptant parmi les plus beaux meubles réalisés par cet ébéniste, ce dernier est finalement placé dans la demeure du ministre de la Justice, place Vendôme en 1796, et a aujourd’hui rejoint les collections du musée du Louvre.

La salle à manger de l’hôtel de La Vaupalière aujourd’hui siège d’AXA, après sa restauration par le décorateur François-Joseph Graf.
Après avoir subi de nombreuses transformations et réductions aux XIXe et XXe siècles, l’hôtel de La Vaupalière est aujourd’hui inséré dans un complexe architectural moderne et abrite le siège d’AXA. Restauré à la fin des années 1990 sous la direction du décorateur François-Joseph Graf, il est à nouveau doté d’un riche mobilier du XVIIIe siècle.
Bibliographie :
Dominique Fernandès, “Hôtel de la Vaupalière”, Rue du Faubourg Saint-Honoré, Délégation à l’Action Artistique de la Ville de Paris, 1994, pp. 271- 281.
Valérie Bougault, “La Vaupalière, une demeure hors du temps”, in Connaissance des Arts, n°663, Septembre 2008, pp. 150–155.
Christophe Huchet de Quénetain, Pierre Garnier, Les Éditions de l’Amateur, 2003