LES LUSTRES

Des chefs-d’œuvres suspendus

Lustre à six branches, détail, vers 1740, New York, Metropolitan Museum of Arts (inv. 1974.356.111)

Il est difficile pour notre œil habitué à la lumière électrique d’imaginer la subtilité de l’éclairage des intérieurs au XVIIIe siècle. Reposant sur la flamme vacillante et dorée des bougies, il est accentué par les dorures, les miroirs et le reflet des cristaux. La lumière est alors un luxe, et les objets qui la portent de véritables œuvres d’art.

André-Charles Boulle (d’après), Lustre aux dauphins, vers 1700, Paris, Musée du Louvre (inv. OA 10513)

© Château de Versailles, Dist. RMN / © Christophe Fouin

Parmi les différents luminaires que l’on trouve dans les intérieurs au XVIIIe siècle, le lustre est probablement le plus majestueux. Placé en hauteur, il habille le plafond et attire tous les regards. Il symbolise toute la richesse et la puissance de son propriétaire : particulièrement onéreux, un lustre peut alors atteindre une valeur de plusieurs milliers de livres. Les lustres ne se trouvent ainsi que dans les plus grandes maisons, et seules les pièces les plus importantes en sont dotées. Le Livre-Journal du marchand mercier Lazare Duvaux indiquant les restaurations et les nettoyages des lustres de Madame de Pompadour mentionnent ainsi « le » lustre de cristal de roche de la marquise à Versailles ou à Bellevue, comme si elle n’en avait qu’un seul. Par leur richesse, leur prestige, et les savoir-faire auxquels ils font appel, les lustres constituent des cadeaux diplomatiques de choix. Louis XV offre ainsi de superbes exemplaires en bronzes dorés aux souverains d’Europe, et notamment à sa fille Louise-Elisabeth, princesse de Parme. Les deux somptueux lustres rocaille par Caffieri qu’elle reçoit pour le palais de Colorno sont aujourd’hui conservés à la Wallace Collection à Londres.

Jacques Caffieri, Philipe Caffieri (probablement par), Lustre, offert par Louis XV à sa fille la princesse Louise-Elisabeth de Parme, vers 1751, Londres, Wallace Collection (inv. F84)

© The Wallace Collection

On distingue plusieurs types de lustres, de formes et de matériaux variés. L’abbé Jaubert dans son Dictionnaire des Arts et Métiers réédité en 1773 distingue les lustres « à cage découverte », sans ornements ajoutés à la structure, les lustres « à consoles », ou lustre cage, et les « lustres à lacés ». Les premiers sont essentiellement des œuvres de bronze doré. Ornemanistes et bronziers imaginent à la fin du XVIIe siècle des modèles de petite taille en bronze doré richement orné de figures. Jean Bérain (1640–1711) et André-Charles Boulle (1642–1732) en proposent tous deux les premiers exemples dans leurs recueils de gravures. Le modèle évolue au fur et à mesure des changements de goût, prenant des formes rocailles sous le règne de Louis XV et retrouvant une rigueur toute néoclassique à la fin du siècle. Ces lustres sont l’œuvre des plus grands bronziers. Boulle, les Caffieri, Pierre Gouthière (1732–1813), Pierre-Philippe Thomire (1751–1843) ou encore François Rémond (1747–1812) livrent des chefs d’œuvre, tel que le lustre aux enfants musiciens du comte de Provence, réalisé vers 1780 par Rémond.

François Rémond (attribué à), Dominique Daguerre, Lustre arabesque à enfants musiciens, probablement saisi chez le comte de Provence au Luxembourg en 1790, vers 1775–1785, Versailles, Châteaux de Versailles et de Trianon (inv. VMB 1137)

© Château de Versailles, Dist. RMN / © Christophe Fouin

Les lustres à lacés et les lustres à consoles sont quant à eux des œuvres de cristal. Le cristal de roche est le premier utilisé pour les luminaires. Sous le règne de Louis XIV, ces pierres sont passionnément recherchées, taillées et sélectionnées pour leur pureté. Plus que de simples luminaires, les lustres sont alors considérés comme de véritables bijoux suspendus. L’approvisionnement est complexe et renforce encore le prix et le luxe de tels ornements. En 1778, la manufacture de cristal de roche de Briançon est fondée pour exploiter au mieux les mines des Alpes. Louis XVI lui octroie même le statut de manufacture royale en 1784. Posséder un lustre de cristal de roche est tout au long du XVIIIe siècle une marque d’opulence et un indispensable des plus grandes maisons.

Lustre à lacés en cristal de roche, vers 1700, Los Angeles, J. Paul Getty Museum (inv. 88.DH.17)

Son prix important et sa rareté amènent cependant les artisans à chercher une alternative. En 1699, Bertin (1668–1736), dessinateur ordinaire du roi, reçoit un privilège pour la fabrication de lustre en verre moulé à l’imitation du cristal de roche. Des perles, puis des plaquettes facettées sont mises au point et de nombreuses manufactures se consacrent à leur production en Europe. La Bohème est alors un important centre de production et l’on y envoie depuis la France des pendants en cristal de roche pour qu’ils y soient copiés en verre. Une manufacture de cristaux de la reine, d’abord installée à Sèvres en 1782, est enfin fondée en 1786 à Montcenis.
Faits de cristal de roche ou de verre, les plaquettes, poignards, pyramides et autres pendants sont d’une grande variété de formes. Placés sur les structures de laiton ou de bronze des lustres cages, ils dessinent des compositions aériennes jouant sur les reflets et les transparences.

Lustre cage ou en console, en bronze doré et cristal de Bohème, provenant des collections de la Couronne, XVIIIe siècle, Versailles, Châteaux de Versailles et de Trianon (inv. T 1282)

© Château de Versailles, Dist. RMN / © Christophe Fouin

Le commerce des lustres à Paris est avant tout porté par les marchands merciers. Lazare Duvaux renseigne de nombreuses livraisons de ces luminaires dans son Livre Journal, Le marchand Julliot fournit à Louis XV en 1739 pour sa Petite Galerie de Versailles un grand lustre de cristal de roche et Alexis Delaroue, « lustrier ordinaire du roi », livre un autre lustre de cristal de roche pour le cabinet de la Méridienne de Marie-Antoinette. À même de se fournir en cristal de roche ou en plaquettes de verre taillé venu de Bohême ou d’ailleurs, les marchands merciers imaginent également pour leurs lustres des compositions originales, associant des matériaux particulièrement modernes. La porcelaine ou encore le verre coloré – inventé par George Frédéric Stras (1701–1773) en 1730 – sont utilisés dans de superbes compositions. En décembre 1741, le marchand Hébert livre ainsi pour le cabinet du roi à Choisy un lustre « de bronze d’or moulu et émaillé, orné au milieu de trois figures de porcelaine de bergers et de bergères (…) la tige formée par des branchages et fleurs aussi émaillées et peintes (…) ».

Charles-Germain de Saint-Aubin, Lustre exécuté pour le roi de Prusse, 1760, Paris, Musée du Louvre (inv. RF 52203)

© GrandPalaisRmn (Musée du Louvre) / Thierry Le Mage

Chefs d’œuvre de bronze et de cristal, les lustres comptent parmi les plus beaux objets d’art réalisés au XVIIIe siècle. Luminaire d’une richesse inouïe, ils sont le symbole du faste de leur propriétaire et nous incitent aujourd’hui encore à lever les yeux pour les admirer.

Bibliographie :
Pierre Verlet, Les Bronzes dorés Français du XVIIIe siècle, Picard, 1999
Marie-France Dupuy-Bayle, De Bronze et de Cristal. Objets d’ameublement XVIIIe-XIXe siècles du Mobilier national, Éditions Faton, 2020
Peter Rath, Josef Holey, Furniture in the Air. The crystal chandelier in Europe, Verlag Biblilothek der Provinz, 2020

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