
Joseph-Marie Revel (horloger), Joseph Coteau (décor d’émail attribué à), Pendule squelette, détail, vers 1795, Galerie Léage
© Julie Limont
Siècle des Lumières, le XVIIIe siècle est un moment privilégié pour l’élaboration de pendules, régulateurs et autres cartels aux mécanismes sophistiqués. Alliant l’ingéniosité de systèmes complexes à des caisses d’une beauté remarquable, ils sont l’objet de multiples raffinements.

Jean Moisy (horloger), Adrien Dubois (menuisier), Cartel à musique, doté d’un système à 18 marteaux, 9 timbres et 1 cylindre, vers 1750, Galerie Léage
Le Siècle des Lumières se passionne pour les sciences. Parmi elles, la mesure du temps, et sa proche parente l’astronomie, occupent une place privilégiée. L’horlogerie suscite ainsi la passion de nombreux curieux, qui l’étudient et la pratiquent dans leurs cabinets. Art intellectuel par excellence, elle est définie par l’horloger Ferdinand Berthoud (1727−1807) dans son article « Horlogerie » de l’Encyclopédie : « disposer une machine (…) d’après les lois du mouvement, en employant les moyens les plus simples et les plus solides ; c’est l’ouvrage de l’homme de génie ». Parmi ses prestigieux amateurs, Louis-François de Bourbon, prince de Conti, se distingue par son importante collection et ses inventions. Il met au point en 1761 une pendule de nuit, exécutée par Pierre III Le Roy (1717−1785) et soumise aux suffrages de l’Académie des Sciences. Les rois de France se passionnent également pour cet art : Louis XV puis Louis XVI à son tour possèdent un cabinet de mécanique dans leurs petits appartements à Versailles. Ils font tous deux preuve d’une grande générosité envers leurs horlogers, finançant leurs recherches et leurs réalisations. La fameuse pendule de Claude-Siméon Passemant (1702−1769), livrée à Choisy en 1753, ou encore celle de la Création du monde conçue par le même Passemant l’année suivante et livrée à Trianon, sont parmi les pendules les plus belles et les plus complexes du XVIIIe siècle.

Claude-Siméon Passemant (conçu par), Joseph Léonard Roque (horloger), Pendule « de la Création du Monde », 1754, Versailles, Châteaux de Versailles et de Trianon (inv. VMB 1036.1)
© Musée du Louvre, Dist. RMN-Grand Palais / Thierry Ollivier
L’horloger occupe alors une place à la frontière entre l’artisan et le savant. Dans son article de l’Encyclopédie précédemment cité, Berthoud le qualifie ainsi « d’architecte-mécanique ». Les métiers de l’horlogerie regroupent alors de nombreuses spécialités, du concepteur de mécanisme – l’architecte dont parle Berthoud – jusqu’au fabricant de ressorts, au monteur de boîtes ou à l’émailleur. Les premiers font généralement partie de la moyenne bourgeoisie au XVIIIe siècle, et certains jouissent d’une importante fortune. Scientifiques, collectionneurs, ils revendiquent le caractère intellectuel de leur art, étranger au travail manuel. Ils sont ainsi très impliqués dans les réflexions scientifiques de leur temps : Berthoud publie de nombreux traités, Jean Romilly (1714−1796) est l’ami de Jean-Jacques Rousseau et Jean-Baptiste Le Roy (1720−1800) entretient une importante correspondance avec l’américain Benjamin Franklin. Fiers de leurs inventions, ils signent le cadran de leurs réalisations. Ils comptent ainsi parmi les très rares artisans du XVIIIe siècle dont le nom est directement visible sur leurs œuvres.

Robert Osmond (bronzier), Manufacture de Sèvres, Pendule, vers 1770, Paris, musée du Louvre (inv. OA 11308)
© 2012 Musée du Louvre, Dist. GrandPalaisRmn / Thierry Ollivier
L’engouement intellectuel pour les mécanismes d’horlogerie naît de la mise au point du système à pendule par le néerlandais Christiaan Huygens (1629−1695) vers 1656. Très vite repris par les horlogers, il permet une précision jusqu’alors inimaginable et l’ajout d’une aiguille marquant les minutes puis plus tard les secondes. Invité par Colbert à rejoindre l’Académie des Sciences, Huygens poursuit le perfectionnement de son système et stimule la création parisienne. Les mouvements font preuve d’une précision et d’une sophistication grandissantes tout au long du XVIIIe siècle. Le nombre d’aiguilles, de cadrans et de complications se multiplie pour le plus grand émerveillement des amateurs. Ce dernier est porté à son comble à la fin du siècle par l’invention des pendules squelettes. Dénuées de boîtiers, elles laissent voir de tous côtés le mouvement délicat de leurs mécanismes. Les modèles les plus riches, comme cette pendule issue de notre collection, présentent souvent plusieurs cadrans et un décor d’émail aux couleurs vives.

Joseph-Marie Revel (horloger), Joseph Coteau (décor d’émail attribué à), Pendule squelette, vers 1795, Galerie Léage
© Julie Limont
Les horlogers mettent également au point des systèmes de mesure astronomiques, calculant les phases de la lune ou le mouvement des planètes. La pendule de Passemant les prévoit ainsi pour 10 000 ans, et fonctionne encore parfaitement à ce jour. La course effrénée à la cartographie des océans stimule également les inventions des horlogers qui mettent au point des pendules dont la précision permet enfin de calculer les longitudes.
Les pendules peuvent encore être dotées de sonneries particulièrement sophistiquées, ou d’un système musical permettant de jouer un ou plusieurs airs. D’autres enfin, cachent des automates. Un modèle particulièrement élaboré conservé au Metropolitan Museum of Art à New York associe tous ces éléments. Mentionnée dans l’atelier de Jean-Baptiste-André Furet (vers 1720–1807) en 1784, elle présente une princesse africaine dont l’une des boucles d’oreille fait apparaître l’heure dans ses yeux, et dont l’autre actionne un orgue musical dissimulé dans la base.

Jean-Baptiste-André Furet, Pendule à mouvement musical, vers 1784, New York, Metropolitan Museum of Art (inv. 58.75.127)
Multipliant les sophistications, les horlogers du XVIIIe siècle élèvent leur art au plus haut rang. Ils ravissent les amateurs éclairés, certains se prêtant même au jeu, devenant horlogers à leur tour.
Bibliographie :
Jean-Dominique Augarde, Les Ouvriers du Temps, Antiquorum Éditions, 1996
PIerre Kjellberg, Encyclopédie de la Pendule Française du Moyen Âge au XXe siècle, Les Éditions de l’Amateur, 1997
Clare Vincent, Jan Hendrik Leopold, European Clocks and Watches in the Metropolitan Museum of Art, The Metropolitan Museum of Art, 2015