
UNE PENDULE EN CÉLADON À TÊTES DE COQ
France, époque Louis XVI
Mouvement signé Gille l’Aîné (1723−1784)
Bronze ciselé et doré vers 1775
Céladon, époque Ming tardif (1600−1644)
Provenance : Collection du baron Pierre de Gunzburg
Hauteur : 49,5 cm – 19 1⁄2 inches
Largeur : 40,5 cm – 16 inches
Profondeur : 32 cm – 12 2⁄3 inches
Associant un somptueux céladon chinois, une monture de bronze doré finement ciselée et un mécanisme d’horlogerie complexe, cette pendule est un concentrée de sophistication. Elle témoigne de l’art et de l’inventivité des plus grands marchands merciers. L’iconographie particulière de ce modèle, décliné en plusieurs exemplaires, en a fait une œuvre appréciée par les plus grands collectionneurs depuis le XVIIIe siècle.
L’ART DES MARCHANDS MERCIERS
Imaginée par un marchand mercier talentueux, cette pendule est l’association de trois savoir-faire portés à leur perfectionnement : céladon chinois, bronzes dorés français et mécanisme d’horlogerie.
Au XVIIIe siècle, les corporations règlementent l’exercice des professions artisanales, obligeant les artisans à n’exercer qu’un seul métier. Les marchands merciers sont alors indispensables à la réalisation de meubles et d’objets d’art complexes associant diverses spécialités. Véritables ordonnateurs du goût au XVIIIe siècle, ils coordonnent la réalisation de chefs‑d’œuvre des arts décoratifs et multiplient les nouveautés pour le plus grand bonheur de leur clientèle. Ils savent aussi se fournir en matériaux rares venus d’ailleurs, telles que les laques et les céramiques asiatiques.
Le modèle de cette pendule se rapproche des réalisations des plus grands marchands merciers de l’époque : Dominique Daguerre, Simon-Philippe Poirier, Claude-François Julliot ou Pierre Lebrun. Celui qui l’a réalisé a choisi un superbe céladon de l’époque Ming tardif (1600−1644), qu’il a fait placer dans une monture en bronze finement ciselée et dorée et doté d’un mécanisme d’horlogerie complexe.
Céladon
Les céladons sont importés en Europe par les compagnies orientales dès la seconde moitié du XVIIe siècle. C’est en France qu’ils reçoivent leur nom, probablement d’après la couleur du ruban du berger Céladon dans le roman L’Astrée d’Honoré d’Urfé (publié entre 1607 et 1628). Au XVIIIe siècle, ces céramiques sont de plus en plus recherchées. Dans les catalogues et les inventaires, les plus beaux sont dits venir du Japon – cette provenance étant alors gage de qualité exceptionnelle – et on les qualifie de « vert de mer », encore « gris de perle ». Au milieu du règne de Louis XV, les céladons sont les pièces maîtresses des collections des plus grands marchands merciers : un tiers du stock de porcelaines extrême-orientales de Lazare Duvaux (1703−1758) est constitué de céladons entre 1750 et 1756. Ils en font ainsi des fontaines, des brûle-parfums, des aiguières et plus rarement comme ici, des pendules.
Les céladons sont les pièces maîtresses des collections des plus grands amateurs de porcelaines Extrême-Orientale de la seconde moitié du XVIIIe siècle.

Fig. 1 – Aquarelle représentant une aiguière en céladon provenant d’une paire destinée au duc d’Aumont, avec des montures en bronze réalisées par Pierre Gouthière, illustration du catalogue de la vente du duc d’Aumont en 1782, Paris, Bibliothèque Nationale de France, RES V 2856
La marquise de Pompadour est probablement celle qui en rassemble le plus grand nombre : on compte 74 céladons dans sa collection. D’autres grands collectionneurs, notamment Randon de Boisset, Jullienne ou l’abbé Leblanc en possèdent d’importantes quantités. Le roi enfin n’est pas en reste. Louis XV, puis Louis XVI à son tour, possèdent des céladons remarquables.
Bronze doré
Les marchands merciers sont un des principaux moteurs de la diffusion du bronze doré dans les grandes demeures françaises. Arbitres du goût au XVIIIe siècle, ils trouvent dans ce métal un matériau leur permettant de maintenir une innovation constante et un luxe marqué. Ils imaginent de placer de nombreux objets, pièces de porcelaine, pierres dures ou objets d’art, dans de somptueuses montures de bronze doré. Pouvant associer les spécialités, ils font collaborer leurs bronziers favoris avec les meilleurs ébénistes, sculpteurs et ornemanistes, permettant de créer des pièces nouvelles d’une qualité remarquable.
Les plus grands bronziers de la seconde moitié du siècle sont employés par les marchands merciers afin de doter leurs céladons de superbes montures. Un dessin illustrant le catalogue de la vente du duc d’Aumont en 1782 (Fig. 1) montre ainsi une aiguière en céladon, d’une paire, dotée d’un somptueux décor de bronze doré par Pierre Gouthière (1732−1813). Les bronzes de notre pendule relèvent du même niveau de qualité que les réalisations contemporaines les plus importantes. Les jeux de mat et de bruni de la dorure, la diversité et la finesse de la ciselure, la vivacité du modelé enfin témoignent d’une main et d’un savoir-faire exceptionnels (Fig. 2).

Fig. 2 - Détail des bronzes
Horlogerie
Les esprits éclairés du XVIIIe siècle raffolent de mécanisme et de complications techniques. Ils voient ainsi dans les pendules la réunion de deux de leurs passions : un objet esthétique et un mécanisme sophistiqué. Dans la seconde moitié du siècle, certains horlogers mettent au point des mécanismes à cadrans tournant, comme celui de notre pendule. L’aiguille est fixe tandis que la rotation du cadran permet de suivre l’écoulement des heures.
De nombreux horlogers de renom réalisent des mécanismes sur ce modèle. Parmi eux, Pierre II Gille dit « Gille l’Aîné » (1723−1784) signe le mécanisme de notre pendule. Installé rue Saint-Denis puis rue aux Ours à Paris, il débute sa carrière aux côtés de son père. Rapidement remarqué pour sa grande maîtrise, il travaille pour une clientèle variée issue de l’aristocratie : le prince Charles de Lorraine, le duc de Gramont, le prince de Condé ou encore Auguste II de Saxe.
UN MODÈLE DE COLLECTIONNEURS
Dès le XVIIIe siècle, ce modèle de pendule est prisé des amateurs et collectionneurs les plus exigeants. Formé d’un précieux vase en céladon, il est garni de guirlandes de bronze et encadré de têtes de coq chantant. On en trouve mention dans plusieurs documents, notamment dans la vente des biens de Denis Pierre Jean Papillon de la Ferté, le 20 février 1797 :
« 241. Un fort vase servant de pendule, fond bleu & à fleurs plus foncées, ornées de cercles tournans & à tête de coq, avec gorge à gaudron, placée sur socles de cuivre & de vert de mer. H. 24 po. ».
Cet exemple issu des collections de l’intendant des Menus plaisirs de la Maison du roi témoigne de la diffusion du modèle au sein des collections des figures les plus raffinées de l’époque.

Fig. 3 - Louis Ourry (horloger), Lepaute (horloger), Henry Martinot (horloger), Pendule en céladon craquelé, aux coqs et à cadran tournant, XVIIIe siècle, Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon (inv. V 4799) © Château de Versailles, Dist. RMN / © Christophe Fouin

Fig. 4 – Denis Masson (mouvement), Pendules en céladon craquelé, aux coqs et à cadran tournant, époque Louis XVI, anciennes collections Sophia Charlotte, baronne de Howe (1762−1835) puis Karl Lagerfeld
Six pendules de cet ensemble sont aujourd’hui connues. Une première pendule, la plus proche de notre modèle, est conservée au château de Versailles (Fig. 3). D’autres exemplaires ont fait partie de prestigieuses collections privées : collection Simone del Duca, collection Karl Lagerfeld (Fig. 4) et collection Marquis. Notre exemplaire étant provient quant à lui des collections du baron Pierre de Gunzburg, important collectionneur du XXe siècle issu d’une grande famille d’industriels.
LE COQ, EMBLÈME FRANÇAIS
Le rapprochement du coq à l’esprit français remonte à la guerre des Gaules, lorsque les Romains comparent malicieusement le fier gallinacé au peuple gaulois. Sous le règne de Louis XIV, cette comparaison est reprise et érigée en emblème.
Utilisé par Charles Le Brun dans la conception du nouvel ordre architectural français en 1671, le coq apparaît notamment sur les chapiteaux des pilastres de la Galerie des Glaces (Fig. 5) à Versailles. Traditionnellement associé au combat, à la fierté et à la vigilance, il symbolise la mission protectrice du souverain envers son peuple. Plus encore, le coq est un animal solaire convoquant chaque matin le retour du soleil, roi souverain soumettant l’astre et le temps à sa volonté.

Fig. 5 - Chapiteau de l’ordre français, Galerie des glaces, Château de Versailles

Fig. 6 - Jean-Baptiste Toré (ingénieur), Jean-Joseph Lemaire (sculpture), Baromètre du Dauphin, 1773–1775, Versailles, Châteaux de Versailles et de Trianon (inv. VMB 14597) © Château de Versailles, Dist. RMN / © Christophe Fouin
On retrouve l’animal sur plusieurs œuvres destinées aux souverains, notamment le baromètre commandé par Louis XV en 1773 pour le Dauphin (Fig. 6), ou encore sur la paire de fauteuils livrée par Georges Jacob (1739−1814) pour le cabinet de la méridienne de Marie Antoinette à Versailles vers 1780.
Les deux coqs de notre pendule sont modelés avec un naturalisme frappant. Leur bec entrouvert laisse échapper leur chant, annonçant l’heure qui passe.
Bibliographie
Jean-Baptiste-Pierre Lebrun, Catalogue d’une collection de tableaux des trois écoles et en tapisserie, pastels, gouaches, dessins coloriés […] : [vente du 20 février 1797], Bibliothèque de l’Institut National d’Histoire de l’Art, collections Jacques Doucet, inv. VP RES 18 B.
Jean-Dominique Augarde, Les Ouvriers du Temps, Genève, Antiquorum éditions, 1996, p. 212, fig. 171, p.324.
Stéphane Castelluccio, Le goût pour les porcelaines de Chine et du Japon à Paris aux XVIIe et XVIIIe siècles, Saint-Rémy-en‑l’Eau, éditions Monelle Hayot, 2013
Pierre Verlet, Les bronzes dorés français du XVIIIe siècle, Paris, Picard, 1987
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